Comment poser le problème ?
Prendre une décision c’est répondre par un choix à une configuration qui offre plusieurs options possibles. De fait, décider est une résultante de la manière dont est posée une situation. Or s’il y a besoin de décider, c’est souvent qu’il y a un problème ! Et si l’art de décider était celui de poser le problème ?
L’art de décider est souvent associé à l’image de militaires gradés discutant autour d’une grande table couverte par une carte ou une reproduction du terrain de bataille. Premier niveau de lecture : les personnes décisionnaires ne sont pas celles qui sont sur le terrain. Second niveau de lecture : ce dispositif permet de voir les choses autrement. qu’il posé la situation avec une vue différente afin (à priori) de pouvoir prendre de meilleures décisions.
En suivant le fil de la métaphore, on retrouve des éléments qui peuvent servir pour toute analyse de situation : prise de hauteur, vue globale , vision des forces en présence, conscience des enjeux et de leur hiérarchisation, mise à jour régulière de la situation afin de garder une vision claire de l’ensemble des éléments.
Si tout ceci peut sembler évident pour un conflit de troupes armées, prenons-nous le temps de le faire quand il s’agit d’une situation où nous devons décider.
Un premier élément à prendre en compte est celui de l’objectif. Se poser la question de l’objectif c’est se donner les moyens de prendre une bonne décision. Car cela nous amène à définir des critères qui permettent de dire si oui ou non l’objectif est atteint, si nous avons pris la bonne décision. Et c’est là aussi qu’il est important de bien différencier objectif et critères de vérification, alors que les deux sont souvent confondus.
Prenons le cas concret d’une négociation d’augmentation de salaire : l’objectif de la personne est souvent un nombre. « Je veux x K€ (ou y%) de plus ». Sauf que ceci est une matérialisation de l’objectif. Le but réel est souvent tout autre. Être en contact avec ce but réel permet à la fois la prise de hauteur, le choix de l’objectif et celui des moyens pour l’atteindre. Dans ce cas l’objectif réel peut être d’avoir plus de considération de la part de la hiérarchie, de se sentir mieux payé, d’avoir plus de revenu, d’avoir une excuse pour demander une rupture conventionnelle, de regagner de la motivation… A chacun de ces objectifs l’augmentation de salaire peut être une réponse, mais ce n’est en aucun cas la seule. Et être en contact avec cet objectif macro permet de rentrer en négociation avec celui-ci et de pouvoir saisir les opportunités autres qui se présentent lors de l’entretien.
Aussi, des solutions autres peuvent tout à fait convenir : augmentation du temps de télétravail, avantage en nature, changement de titre ou de bureau, affectation à un projet transversal, redéfinition des objectifs de l’année…
Poser l’objectif et le problème autrement, c’est faire naître d’autres possibles.
Le compte Visualizevalue sur Instragram a publié cette image avec une légende que l’on pourrait traduire par « l’échec est le cadrage que vous faites de la situation, pas l’image complète de cette situation » [1].
Regarder c’est donc choisir un cadrage, au sens photographique du terme.
Or, nous avons le pouvoir sur ce cadre. Nous pouvons le rétrécir, l’agrandir dans l’espace et dans le temps, dans les personnes qu’il concerne… Et finalement c’est la bonne nouvelle parce que comme nous choisissons le cadre, s’il ne nous convient pas ou ne nous apporte pas suffisamment d’éléments de réponse qui nous nourrissent, nous pouvons en changer.
L’art de décider se fait toujours par rapport à un contexte particulier et à la manière dont nous allons regarder la situation. Comme nous posons le regard sur une situation, nous allons mécaniquement avoir un angle de vue, un cadrage, et cela change complètement la vision, donc la décision à prendre.
Outils : interdisez-vous la binarité !
Début des années 60 – Cuba : l’alternative est simple. Intervenir. Ou pas. Le premier choix déclencherait une 3ème guerre mondiale et le deuxième donnerait l’impression que l’URSS pouvait tout faire et que les USA ne feraient rien. Le dispositif mis en place a été de mettre des personnes dans une pièce et de leur demander de sortir avec une proposition qui ne pouvait être aucune des deux. Après de longues heures et nuits, l’idée de l’embargo a été trouvée. Elle permettait à la fois d’agir de manière très forte sans intervenir. Cette solution n’aurait pas pu être trouvée si les choix posés restaient polarisés.
Dans notre travail, une manière pratique de mettre cela en place est de faire l’effort intellectuel d’avoir 5 solutions différentes. Cela nous oblige à sortir de la polarisation binaire dont notre cerveau est si friand, et permet alors une vraie prise de décision plutôt qu’une réaction à une sorte de choix automatique.
[1] Texte source en anglais : Failure is the frame, not the picture.