Travail hybride : vers un nécessaire encadrement

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Après un télétravail imposé par la crise sanitaire, le travail hybride alternant distanciel et présentiel est devenu une réalité. De plus en plus revendiquée par les salariés, cette nouvelle forme d’organisation du travail oblige les entreprises à s’adapter. Il convient néanmoins d’accompagner, voire d’encadrer cette tendance lourde pour répondre efficacement aux nouveaux enjeux qui sont aujourd’hui posés.

Par Baptiste Lenfant, , Directeur Général d’Incitu

A défaut d’un cadre qui recense les fondamentaux du travail hybride et les bonnes
pratiques pour l’exercer de façon optimisée, chaque structure décide seule de la manière
dont il est déployé… avec plus ou moins de succès.
Pourtant, les entreprises sont globalement toutes confrontées aux nouvelles
problématiques engendrées par ce modèle hybride. Challengées par cette
transformation organisationnelle, elles se doivent de répondre aux attentes, voire aux
exigences, exprimées aussi bien par les candidats à l’embauche que par les salariés :
assurance de flexibilité, plus de garantie d’autonomie, meilleure prise en compte des
enjeux de mobilité, priorité à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle…
Des aspirations en pleine évolution qui vont parfois jusqu’à une profonde remise en
question, une véritable quête de sens et la recherche d’un rythme de travail qui
correspondent davantage à la charge que chaque individu choisit de supporter.
Travail hybride : un constat mitigé
L’enquête** récemment menée par Incitu auprès d’un panel représentatif de
professionnels des ressources humaines a révélé que pour 84% d’entre eux, télétravail
et travail hybride sont des clés permettant de solutionner certaines problématiques
actuelles, telles que la fidélisation des collaborateurs ou le recrutement de nouveaux
talents.
Devenues de véritables atouts concurrentiels pour construire une marque employeur
attractive, ces nouvelles formes d’organisation du travail ne sont cependant pas sans
conséquences et semblent poser quelques difficultés.
Selon une étude de l’ANDRH***, 76% des DRH considèrent qu’il est aujourd’hui devenu
indispensable de proposer des modalités de travail hybride. Ils sont également 78% à
pointer le fait que la flexibilité du lieu de travail est devenue une priorité revendiquée par
les candidats lors d’entretiens d’embauche.
Toujours selon cette même étude, 30% des entreprises sont confrontées à des
problématiques de salariés ayant déménagé dans une autre ville depuis le contexte de
la crise du Covid. Une situation qui pose de nombreuses questions en matière
d’adaptation des conditions de travail, de prise en charge des frais professionnels, voire
même de responsabilité de l’employeur.
S’il est essentiel d’accompagner cette nouvelle organisation, il est également important
de prendre en compte celles et ceux qui ne sont pas en situation d’opter pour cette
hybridation. Dans le secteur de l’économie de services, de nombreux salariés de
premier ou de deuxième niveau de qualification continuent à devoir se déplacer sur leur
lieu de travail. D’où une véritable fracture sociale engendrée entre des personnes plus
diplômées, capables d’organiser leur temps de travail, et des métiers contraints d’aller
sur site parce que leur activité ne peut être dématérialisée.
Des enjeux diversifiés
Parmi les enjeux posés par ce nouvel état de fait, l’évolution culturelle du rôle du
manager occupe une place majeure. Les nouvelles formes d’organisation du travail font
que cette fonction doit aujourd’hui être repensée pour aller vers un format de leadership
plus que de contrôle. Fixer des objectifs qui puissent être revisités de manière régulière
mais lâcher prise sur la méthode, la manière d’y arriver. Un défi pour nos sociétés,
encore très sensiblement ancrées dans la culture du présentiel. En parallèle, il convient
d’amener le salarié à changer de regard sur le manager. Prendre pleinement
conscience qu’il est là pour l’accompagner et l’aider mais pas pour être présent en
permanence et amortir toutes les difficultés.
Deuxième enjeu et non des moindres : la difficulté à maintenir une cohésion d’équipe et
une dynamique collective. Comment fabriquer et conserver une culture d’entreprise
quand les collaborateurs en sont éloignés ? Car s’ils aspirent à plus de flexibilité, les
salariés ont malgré tout besoin de se reconnaître dans l’interaction sociale avec leurs
pairs. A charge pour l’entreprise de concevoir des temps expérientiels et des canaux de
communication dédiés pour entretenir ce collectif.
Troisième enjeu de taille : l’accompagnement des salariés. Les entreprises doivent en
effet avancer prudemment sur la frontière entre l’autonomie et l’indépendance. D’un
côté, il est nécessaire d’accompagner au mieux ceux qui ont plus de difficultés avec
l’autonomie, la capacité à travailler seul, à se fixer une méthode, un objectif… De l’autre,
il convient d’évaluer les limites à poser à ceux qui développent une forme
d’indépendance trop marquée. Car si le salarié fait le constat que « ça fonctionne aussi
bien à l’extérieur qu’à l’intérieur », comment faire revenir les gens au travail ? Quel sens
donner au fait qu’ils soient sur site ? De vrais questionnements qui touchent aujourd’hui
tous les niveaux de postes.
Formation et adaptation des règles collectives
Face à ces enjeux, une première piste de réflexion est incontestablement liée au
développement des compétences. Comme le souligne l’enquête d’Incitu**, 75% des
responsables RH interrogés estiment que le travail hybride ne va pas de soi ! La mise
en place du télétravail ne saurait signifier la simple transposition à distance de nos
habitudes de travail. Elle implique l’acquisition de compétences nouvelles. Les
confinements successifs que nous avons traversés l’ont bel et bien démontré : tous les
collaborateurs n’ont pas su s’adapter au même rythme et ceux qui le pratiquaient avant
la crise ont été clairement avantagés. Dans le contexte actuel, la formalisation des
compétences nécessaires à cette hybridation du travail devient un sujet clé.
Corollaire de cette première proposition, il est impératif de miser sur la formation.
L’objectif ? Faire en sorte que salariés et managers soient à niveau pour pratiquer
l’hybridation du travail avec efficacité. Une formation qui s’inscrit à la fois comme une
source d’évolution professionnelle et un curseur d’amélioration. Et une acquisition de
nouvelles compétences que l’on peut désormais valoriser par la certification.
Autre piste de réflexion : une adaptation des règles collectives semble aujourd’hui
nécessaire. Ce besoin de cadre unique de référence est d’ailleurs plébiscité par 83%
des responsables RH interviewés dans l’enquête Incitu**. A titre d’exemple, on pourrait
imaginer que des salariés habitant à proximité de leur bureau passent moins de temps
en télétravail que ceux dont le domicile est plus éloigné. Sans individualiser à outrance,
ces règles collectives pourraient s’adapter à de grandes typologies de situations
structurées autour des collaborateurs.
Dans la situation de « pénurie » que nous connaissons, le véritable enjeu réside
clairement dans la conservation des talents et la possibilité de capter les meilleures
compétences. Certaines entreprises l’ont bien compris. Celles qui iront le plus vite pour
s’adapter aux défis actuels en sortiront gagnantes ! Il y a de toute façon fort à parier que
toutes soient amenées à suivre le mouvement. Y compris dans certains métiers qui
pour l’instant ne se pratiquent pas encore à distance. Le futur nous réservera quelques
innovations à ce sujet…