Safran : l’entreprise reflet de la société

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Élu DRH de l’année 2023, Stéphane Dubois est à la tête de la direction des responsabilités humaines et sociétales du groupe. Particulièrement engagé en faveur de la parentalité et de la place des seniors, il se confie dans nos pages.

Par Anne-Cécile Huprelle

En 2020, vous avez créé la direction des responsabilités humaines et sociétales. Pourquoi cet intitulé ?

On essaie de mettre en place un cadre de bienveillance sur le lieu de travail : inclusion et diversité, développement des collaborateurs – un lieu de confiance et collaboratif. Nous avons la volonté d’apporter des preuves telles que la santé pour l’ensemble des collaborateurs. 80 % d’entre eux peuvent accéder à des bilans de santé. Les parties senior et parentalité s’inscrivent dans cette logique. De mon point de vue, on ne peut pas avoir de politique de mise en œuvre d’égalité des genres si on n’a pas effectué un travail en profondeur de la question de la parentalité. Dans l’industrie, nous étions en retard en matière d’égalité homme-femme. Nous avons ces dernières années complétement modifié nos approches et fait des progrès considérables. En 2019, nous étions à 11 % de femmes dirigeantes, aujourd’hui, nous allons atteindre les 20 % chez Safran. Et parmi l’ensemble de notre codir et comex, nous sommes entre 25 % et 30 % au sein de toutes nos sociétés. Tous les ans, nous essayons de progresser de 2 % dans cette parité hommes-femmes. Un des éléments importants, c’est de travailler sur la parentalité dans une acception large de la famille telle qu’elle se définie aujourd’hui dans la société. Quelques mesures significatives : nous avons travaillé à l’harmonisation de l’indemnisation du congé paternité, maternité et adoption, sans condition d’ancienneté et pour tout type de parentalité. Nous souhaitons accompagner le second parent dans la grossesse avec des absences autorisées et payées. De la même façon, pour les collaboratrices en parcours PMA, le parent accompagnant a lui aussi la possibilité de bénéficier de ces absences. Un des éléments difficiles à aborder dans le cadre de l’entreprise, c’est celui de l’interruption spontanée de grossesse. Nous avons mis en place un congé spécial pour les parents malheureusement confrontées à cette situation, un congé accordé à chacun des parents. Nous avons également  aménagé le  temps de travail au cours de la grossesse : au moment de l’annonce de la grossesse, nous allégeons le temps de travail d’une heure par jour et, au bout du cinquième mois, nous retirons 20 % du temps de travail, c’est-à-dire une journée par semaine. De même, au retour du congé maternité, paternité ou adoption, les jeunes parents ont la possibilité de bénéficier de temps partiel à 80 %, durant deux mois, rémunéré à 90%. Voici donc l’ensemble des mesures pour faciliter l’arrivée d’un enfant.

 

Quel est le moteur de votre politique de parentalité : une demande sociale ou une intime conviction ?

Cela relève de la conviction : il ne peut pas y avoir d’écart significatif entre ce qu’il se passe dans la société et ce qu’il se passe dans l’entreprise. Cette dernière doit refléter les grandes tendances. Concevoir la famille dans toutes ses acceptions est quelque chose d’important. Un autre exemple : nous avons fait une enquête sur le stress au travail. L’une des questions était centrée sur le genre. Le simple fait de reconnaître la possibilité de répondre homme, femme ou non-binaire, ce qui représente 1 % des collaborateurs chez Safran, est quelque chose qui est perçu comme un facteur d’inclusion. Ces choses-là n’avancent pas d’elles-mêmes. Il faut vraiment aller les construire avec les partenaires sociaux. Vous savez, ce qui s’apparente à des avancées sociétales n’est, en réalité, qu’un ensemble de mécanismes qui nous aident à mettre en place des choses très tangibles dans un domaine qui concerne celui du respect, de la bienveillance, des mots certes parfois  galvaudés, mais qui doivent s’incarner dans des actions très concrètes.

 

S’agissant des seniors, vous avez conclu, en avril, un nouvel accord avec les syndicats. Les négociations se sont déroulées en pleine crise des retraites. Racontez-nous…

Nous avons signé cet accord à l’unanimité. Cela nous montre que, au moment où un sujet était très mal vécu dans le pays, nous, en interne, nous sommes parvenus à négocier sur des choses qui actaient le fait que, effectivement, démographiquement, les populations vieillissaient et qu’il fallait prolonger le temps le travail. Il fallait également prendre en compte ce que l’on appelle l’usure au travail. La réalité, c’est que vous avez aujourd’hui une vraie différence entre les cols-bleus – qui ont exercé des métiers parfois durs physiquement  – et les cols-blancs – pour lesquels l’implication physique n’est pas forcément un problème. Au sein de l’entreprise, nous constatons ce type de fragmentation. Comme nous recrutons énormément, environ 17 000 personnes par an, qui pour moitié ont entre 20 et 30 ans, nous avons un risque d’inversion de la pyramide des âges et de jeunisme. Pour préserver un équilibre, il est important de favoriser la présence des travailleurs expérimentés dans l’entreprise. Nous nous sommes donc engagés à recruter un minimum de 10 % de collaborateurs de plus de 50 ans. Si vous voulez vous assurer du transfert des savoir-faire entre des gens plus âgés, qui ont une vraie compétence, et des plus jeunes, il faut valoriser cette transmission.

 

Est-ce encore juste de parler de « seniors » ?

Dans notre accord, nous avons fait le choix de parler de « travailleurs expérimentés ». En pratique, les seniors concernent davantage les populations du troisième ou du quatrième âge. Car, objectivement, à 50 ans, on n’est pas du tout « senior ». Ce sont des moments de transition, d’accélération, de rupture de vie : les gens sont souvent dégagés de contraintes personnelles. Cela correspond à une réalité sociologique bien différente.

 

Au-delà des bonnes pratiques RH, accompagnez-vous les collaborateurs, moralement et philosophiquement dans le fait de repenser leur vie autrement ?

Nous proposons des bilans de carrière entre 40 et 45 ans, pour prendre le temps de répondre à ces questions : quelles sont les perspectives, les accompagnements nécessaires ? À partir de là, il est possible de construire des parcours adaptés aux personnes. Mais en accord avec elles. La chance, c’est que nos métiers évoluent énormément sous l’effet conjugué des transitions énergétiques et digitales.

Et l’avantage d’un groupe animé par 100 000 personnes, c’est que les reconversions, les évolutions et la mobilité y sont plutôt aisées.