Quand le Brand Voicing redéfinit la marque employeur
À travers leur ouvrage Construire une marque forte (Dunod, 2025), Géraud de Vaublanc (co-fondateur de Venhis partners) et Alice Riou (emlyon) explorent les fondations d’une approche encore émergente : le Brand Voicing. Une méthode qui place la voix, au sens propre comme au figuré, au cœur des interactions externes et internes. Ils proposent une vision renouvelée de la marque employeur, plus cohérente, incarnée et authentique. Conversations.
D’où vient votre réflexion sur le Brand Voicing et pourquoi maintenant ?
Géraud de Vaublanc (GdV) : Elle est née d’un manque. Au fil d’une quarantaine d’entretiens avec des chercheurs et des décideurs (patrons, directeurs marketing), nous avons constaté qu’il n’existait pas de mot pour qualifier la gestion de toutes les voix d’une entreprise, sur le fond comme sur les différents médias. Tout le monde décrivait une « cacophonie organisée », sans cadre. Le Brand Voicing nomme enfin cette réalité.
Alice Riou (AR) : La littérature du branding regorge de modèles, et nous en présentons beaucoup dans le livre. Mais ces dernières années, la voix au sens physique a pris une place inédite : assistants vocaux, podcasts, avatars… Les canaux d’expression se multiplient. Cette dimension vocale, à la fois de fond et de forme, n’avait jamais été vraiment observée. Le concept est très récent : sur le terrain, managers et dirigeants l’explorent à peine.
GdV : Le fondamental, lui, ne change pas, une marque est forte si elle a une raison d’être solide et un alignement entre ses quatre niveaux (commercial, corporate, employeur, financier). Le Brand Voicing ajoute une couche d’exigence : il faut aussi aligner la voix (y compris incarnée) avec ces niveaux.
AR : On voit d’ailleurs la publicité s’en emparer. Exemple : un spot radio qui détourne une voix d’IA métallique, non appropriée, avant que la marque ne « reprenne la main » avec sa voix habituelle. Le message : « Avez-vous réfléchi à votre voix ? » C’est révélateur : au-delà des fondamentaux, la marque doit désormais incarner des couches quasi biométriques (voix humaines, avatars), dans des espaces nouveaux (podcasts, métavers, etc.). Faut-il une même voix partout ? Des tonalités selon les publics ? Rien n’est vraiment cadré aujourd’hui.
Quels nouveaux enjeux soulèvent l’usage et la réutilisation de la voix comme vecteur d’identité de marque, d’authenticité et de communication à l’ère de la multiplication des canaux et des technologies de synthèse ?
AR : La voix de la SNCF, Simone Hérault, présente dans 3 000 gares, illustre bien ces enjeux. Elle a aussi été utilisée à Bruxelles ou au Caire. Est-il pertinent qu’une voix si française soit réemployée ailleurs ? Serait-t-elle perçue de la même manière à Tokyo ? Cela pose des questions culturelles nouvelles pour les marques.
GdV : La multiplication des canaux ajoute une complexité folle et une difficulté de contrôle. S’y ajoute un contexte de défiance envers les institutions, et la marque en est une. On exige des prises de position sur des sujets de société. Plus la construction est « calculée », plus on reproche le manque d’authenticité. Regardez Ben & Jerry’s : marque historiquement engagée. Après son rachat, la recherche d’indépendance de la voix a été réaffirmée ; récemment, l’un des fondateurs a quitté ses fonctions en estimant ne plus pouvoir préserver cette authenticité.
AR : La voix peut être un vecteur d’authenticité plus fort que l’écrit : on peut générer des pages de texte en un clic, mais une voix perçue comme sincère reste difficile à synthétiser. Autre sujet : le droit de la voix. Exemple récent : la comédienne doublant Lara Croft a vu sa voix synthétisée sans son accord pour des répliques en français dans un nouveau jeu. Alors, qui possède la voix ? Peut-on l’adapter en anglais, espagnol, allemand ? On ouvre un chantier juridique entier.
Les entreprises pensent-elles avoir une voix unique ? Est-ce celle du dirigeant ?
GdV : La voix du dirigeant est importante et très relayée, mais attention à la dépendance, s’il part, la marque ne doit pas devenir orpheline. L’incarnation est nécessaire, mais une marque ne peut pas reposer sur une seule personne, on le voit avec Tesla et Elon Musk. Plus il y a de virtualisation, plus on réclame de l’humain (on le voit jusque dans les chatbots).
AR : Côté marque employeur, la voix est de plus en plus collective : un patchwork de milliers de collaborateurs qui s’expriment (LinkedIn, Glassdoor, YouTube…). Trop cadrer muselle et braque ; trop laisser-faire peut déraper. Des dispositifs d’employee advocacy fonctionnent quand ils s’appuient sur une culture authentique. L’exemple Saint-Gobain : campagne d’ambassadeurs très cadrée mais crédible, car la maison a une histoire et une culture fortes. Je remarque en particulier que les 20-25 ans veulent à la fois un storytelling officiel et un bac à sable de liberté, y compris quelques dissonances assumées.
Quelles métriques pour évaluer la marque employeur et le Brand Voicing ?
AR : Les indicateurs classiques restent clés : volume de candidatures, turnover, engagement, recommandation, notes Glassdoor… Pour la voix, on en est aux balbutiements. On peut imaginer des A/B tests de timbres/tonalités, mesurer agrément et mémorisation, comme on l’a fait pour les logos. Mais, à ce stade, peu d’entreprises ont des KPI dédiés. C’est un champ en construction, qui fera émerger des métiers et des conseils spécialisés… et du droit.
GdV : Le Brand Voicing ne révolutionnera pas tout. Mais il devient un levier additionnel d’authenticité et d’attraction, alors que la voix humaine se propage partout et que l’IA démultiplie les usages. Ayons également en tête que l’usage de la vidéo est beaucoup plus énergivore que l’usage de la voix. D’où l’essor des podcasts, beaucoup plus vertueux sur le plan environnemental que les chaînes de vidéos en ligne.
En quoi la RSE et la dimension sociétale sont-elles indissociables de la marque employeur pour résister aux crises ?
GdV : Une marque ne « résiste » pas à une crise, elle la traverse. L’enjeu d’une marque forte est de rebondir plus vite en bénéficiant du bénéfice du doute. Cela suppose : une raison d’être claire, des comportements cohérents, de la transparence. La voix peut ajouter de l’émotion et de la proximité, mais elle ne remplace pas les fondamentaux.
AR : Parfois, la crise est un rite de passage qui prouve la résilience. Exemple : l’épisode de la « crème quantique » chez Guerlain ; la reprise de parole par des chercheurs et des porte-voix identifiés, avec un ton stable et des excuses, a aidé. Demain, on défendra peut-être davantage à l’oral qu’à l’écrit (moins de certificats, plus d’incarnation). À l’inverse, certaines marques n’ont pas d’identité vocale claire : McDonald’s n’en a pas vraiment, et Ronald n’est pas utilisé partout de la même façon. La difficulté d’une voix unique à l’échelle internationale est centrale.
GdV : En crise, ce qui aggrave l’image de l’entreprise, c’est lorsqu’elle est considérée comme cynique. On peut faire des erreurs ; si on reste humain et aligné, la voix aide à incarner la réparation.