Pourquoi la transparence des salaires ne devrait pas être un sujet ?
A travail égal, salaire égal. En vertu de ce principe du droit du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une discrimination en matière de rémunération. Mais encore faut-il que les salaires soient connus de tous. Demander à quelqu’un en France « combien il gagne » peut paraître incongru, alors qu’aux États-Unis, le sujet est depuis toujours abordé de manière décomplexée. Le salaire : un sujet tabou ; mais pour qui ?
D’après un sondage de l’institut Harris Interactive publié en octobre 2018, 70% des Français sont favorables à une transparence sur les écarts de salaires par niveaux dans les grandes entreprises. Et ceci, alors que la rémunération moyenne des dirigeants du privé en France est 73 fois supérieure à celle des salariés, selon une étude 2021 du cabinet Proxinvest.
Et je ne parle pas des écarts de salaires parfois hallucinants dans certaines entreprises du CAC40. Si ces derniers venaient à être publics, certains PDG auraient bien du mal à justifier certains écarts gênants entre collaborateurs de même niveau. Sans doute craignent-ils, et à raison, une forme d’inflation. C’est l’une des raisons pour laquelle, nous pratiquons, depuis la création de Lucca en 2002, la transparence intégrale des salaires. Chacun, développeur, ingénieur ou commercial, peut se connecter à un logiciel interne qui affiche le salaire du PDG comme du dernier salarié embauché.
La confiance comme fondement
Il existe beaucoup de fantasmes et de sentiments de frustration sur les salaires en entreprise. Alors que beaucoup de salariés peuvent penser que leur rémunération n’est pas juste, communiquer et agir pour plus de transparence sur le sujet permet d’engager davantage les équipes. Amener de la transparence au travers d’une grille salariale claire permet de fidéliser les talents et de leur permettre de s’investir pleinement tout en limitant les injustices.
Chacun se responsabilise et s’autorégule. Depuis bientôt cinq ans, nous permettons en outre aux employés ayant plus de trois ans d’ancienneté de déterminer eux-mêmes leur salaire lors d’un collège. La règle ? Il faut fixer soi-même son salaire, mais en respectant sa valeur sur le marché. Cela permet aussi d’éviter le syndrome de l’imposteur. Le salaire n’est pas un sujet de discussion, de frustration, de discrimination ou de polémique en interne. Il devient au contraire la base de la confiance en entreprise.
Des bénéfices tangibles qui renforcent l’engagement
En réalité, la bonne question à se poser dès le départ est celle de savoir pourquoi on voudrait cacher les salaires. A cela, aucune raison tangible !
Nous avons aujourd’hui le recul nécessaire sur la mise en place d’une telle politique et il est incontesté que les avantages liés à la transparence sont nombreux :
– un moteur de progression supplémentaire pour le salarié : la grille de salaires permet de se situer sur l’échelle de rémunération de l’entreprise et de savoir dans quelle direction avancer pour progresser
– la capacité de repérer et gérer immédiatement des écarts éventuels ou des anomalies marché
– ce mode de management contribue à attirer et retenir les talents
– une ambiance de travail positive et collaborative, non entachée par des rumeurs liées au salaire
– plus d’équité, plus de partage de la valeur entre les dirigeants et les salariés
– accroître la responsabilité des managers
– concentrer la fonction RH sur les tâches à valeur ajoutée
Sur le papier cela fonctionne, mais il y a également des écueils. Le premier est directement lié à la culture de l’entreprise ; notamment quand on y est confronté pour la première fois. Cela peut paraître assez violent que les salaires soient connus de tous. Cela nous arrive même de passer à côté de très bons profils qui auraient voulu négocier davantage leur salaire. Le second est la pression que cela impose aux grosses rémunérations.
Cependant, il n’est pas question de revenir sur la notion de transparence, une de nos valeurs fondatrices, qui ne s’appliquent pas qu’à nos salaires d’ailleurs.
La transparence doit être inscrite dans l’ADN de l’entreprise
Le salaire n’est pas la seule composante de la transparence en entreprise. Ce n’est pas non plus la seule valeur qui crée de l’engagement. C’est pour aller encore plus loin dans cette stratégie décomplexée et intégrale de transparence que nous avons décidé de développer le modèle de la collégialité. Comment ?
– en rendant transparente toute information financière sur l’entreprise, à tous
– en communiquant les comptes rendus des comités de direction
– en permettant à tout un chacun de prendre part, commenter ou compléter nos décisions stratégiques
– en rendant collégiale l’évaluation de la performance des collaborateurs
– en rendant collégial le choix d’un recrutement : c’est à l’occasion d’un Grand Oral – la dernière étape de recrutement chez Lucca – que les Luccasiens vont valider le recrutement du candidat
Et enfin, et c’est une force de l’engagement des collaborateurs chez nous : nos commerciaux ne perçoivent pas de rémunération variable, un fonctionnement instauré voilà 5 ans. Avec le recul, je n’y vois que des avantages, à commencer par l’absence d’écarts de rémunération très importants – et souvent ressentis comme injustifiés – entre les meilleurs commerciaux et les autres collaborateurs. Mais l’intérêt le plus évident est l’état d’esprit que cela crée chez les commerciaux, où la collaboration remplace la compétition. Personne ne “vole” les contrats les plus juteux. Cela a aussi un impact vis-à-vis des clients, à qui l’on vend uniquement parce que ses besoins sont réellement couverts par le produit, pas parce qu’il y a une prime à la clé. Le commercial sait que si tel n’est pas le cas, ce sont les consultants lors du déploiement qui en souffriront, et, à terme, notre image.
La transparence des salaires en France est une pratique encore trop peu répandue, mais qui tend malgré tout à faire de nouveaux adeptes (tels que Unow, Buffer, Shine, Alan ou encore OpenClassroom). Ces entreprises se lancent par conviction mais aussi parce que cette culture de la transparence est encouragée par l’arrivée sur le marché du travail de nouvelles générations valorisant fortement l’égalité de traitement en entreprise et décomplexées vis-à-vis de l’argent. Et c’est une très bonne chose parce qu’en intégrant dès le départ cette politique de transparence, les relations sont beaucoup plus saines au quotidien et on évite les inégalités.