Pourquoi la pyramide de Maslow ne tient-elle plus debout ?

17 min de lecture

Le monde du travail a toujours eu besoin de deux leviers essentiels : celui qui consiste à s’organiser et celui qui consiste à se motiver. Ce qui est remarquable, c’est de voir que l’organisation peut facilement engendrer la démotivation. Une remise à plat des principaux concepts de la motivation au travail au sein de l’organisation est devenue urgente.

 

Par Jean-Michel Philippon , Executive coach au sein du cabinet Praesta, fondateur du cabinet Initium Coaching. Auteur de Désengagement au travail (Gereso)

De nombreuses théories sur la motivation ont un point commun, celui de partir du postulat qu’une motivation exige une contrepartie à l’activité demandée. En d’autres termes : « Je veux bien faire ceci si j’obtiens cela, sinon je ne le fais pas. » Ou encore : « Ce n’est pas d’accomplir la mission elle-même qui me fait plaisir, mais ce qu’elle me permet d’obtenir. » Nous sommes ici dans la catégorie de la motivation extrinsèque, c’est-à-dire dans l’attente d’un gain extérieur à l’activité elle-même.

Et puis il y a d’autres théories, qui n’ont peut-être pas eu la place qu’elles méritaient dans le monde de l’entreprise. Ces théories sont celles qui partent d’un principe que l’activité en elle-même puisse susciter une motivation qui lui soit propre. À partir d’une nécessité qui s’impose dans le travail à une majorité d’entre nous, certains peuvent trouver une forme de plaisir et de bien-être.

L’alliance est donc possible entre la nécessité du travail et le plaisir à faire « son » travail.

  • La pyramide de Maslow : un monument remis en question

À cause de deux oublis majeurs, l’approche de la motivation selon la pyramide de Maslow a participé indirectement au désengagement observé de nos jours.

Le premier oubli est celui du désir. Émotion, sensation, ambition, aspiration, vision, espoir, toutes ces forces énergétiques et énergisantes ont été enfermées dans la pyramide. Il est temps de les libérer !

Le deuxième oubli est celui de l’individualité. Focalisée sur le côté égocentrique et individualiste de la satisfaction des besoins personnels, la théorie en a oublié que l’individu se situe continuellement dans un rapport avec le monde extérieur, dont il se distingue par son individualité. L’individualité évoque aussi la partie créative et participative qu’un individu peut apporter au monde.

 

  • Une approche intégrative est incontournable

L’engagement au travail est souvent traité par des approches appartenant à des cadres de référence différents, qui peuvent être ceux de la philosophie, de la sociologie, de la psychologie, du cognitivisme, du comportementalisme… L’objectif est de dépasser le cadre d’un seul regard qui ne permet pas de traiter la complexité de l’engagement au travail. Il serait vain d’avoir pour ambition de résoudre la complexité de l’engagement au travail, mais il est pertinent de vouloir l’embrasser dans sa totalité et sa grandeur pour s’en enrichir. C’est pour cela que l’approche de l’engagement au travail se doit d’être intégrative des différentes approches, non pas pour les opposer et choisir la plus pertinente, mais pour se nourrir de leurs complémentarités.

 

  • Les besoins fondamentaux des individus

Au plus profond de l’être humain, des besoins fondamentaux ne cessent de l’animer. Ces besoins fondamentaux sont au nombre de trois : être, appartenir, devenir, et constituent un équilibre indispensable. Même s’ils sont propres à l’individu, ces trois besoins font référence à l’écosystème dans lequel celui-ci évolue. Une approche intégrative est de fait incontournable pour appréhender l’engagement d’un individu au sein de son écosystème.

  • S’engager pour servir

L’engagement est un lien particulier entre un individu et une entité plus grande que lui, dans laquelle et pour laquelle il décide d’agir, pour en faire partie et la faire grandir.

Chaque individu possède son propre système complexe de gestion de ses pensées, émotions, savoirs, expériences, besoins et désirs. C’est ce système que j’appelle EGOsystème. Chaque individu cherche naturellement à satisfaire ses propres besoins afin de se protéger et de croître. Ses comportements répondent toujours en premier instinct à satisfaire ses propres besoins dans la limite de ce qu’il lui semble possible d’obtenir. Ce n’est que par une réflexion secondaire qu’un individu peut modifier ses propres comportements au bénéfice des besoins d’une entité extérieure. S’engager, c’est accepter volontairement de servir, incorporant ainsi les besoins de l’entité extérieure dans ses propres besoins. Cette entité extérieure, dans laquelle l’EGOsystème souhaite s’engager est appelée ECOsystème.

Les ECOsystèmes ont eux aussi des besoins fondamentaux que l’individu engagé pourra nourrir. Le premier de ces besoins est celui de posséder une raison d’être qui va donner du sens à ses actions. Le second besoin est celui d’acquérir une capacité homéostasique, c’est-à-dire une agilité et une souplesse d’adaptation et d’équilibre face aux changements de son univers. Enfin, le troisième besoin est celui de posséder une capacité à évoluer, à changer, à se métamorphoser, voire à disrupter.

La subjectivité nous dirige plus que l’objectivité. Ce que le travail représente pour chacun de nous est plus important que ce qu’il nous apporte. Le travail doit comporter un espace libre pour la subjectivité de celui qui l’exécute, afin de devenir « son » travail. C’est cette part d’espace libre qui va créer une motivation intrinsèque au travail, à même de transformer celui-ci en moyen d’expression de soi, de réalisation de soi et de dépassement de soi.

L’autonomie avant tout. L’autonomie dans le travail est l’espace libre créé entre l’ECOsystème et l’EGOsystème au sein duquel existent différents états relationnels, définissant les divers degrés de dépendance de l’un envers l’autre. C’est par la qualité de la gestion de cet espace de liberté que tout le processus d’engagement pourra prendre vie.

L’espace libre entre les deux systèmes, créé par l’autonomie, les protège d’une confusion toxique tout en leur permettant d’avoir des liens relationnels puissants et bénéfiques. Ces liens indispensables au processus d’engagement sont respectivement la maîtrise, la confiance, la reconnaissance, la croissance, la fierté, le plaisir, le partage et la coopération.

La maîtrise. En entreprise, trop de complexité, de malentendus, de manque de clarification ont donné l’illusion d’un engagement durable qui, très vite, s’est transformé en une réalité désastreuse, économiquement et humainement. ECOsystèmes et EGOsystèmes doivent accorder un degré de conscience élevé à l’évaluation des compétences réelles de l’acteur à réaliser l’action demandée, sans se laisser détourner par des considérations ou des enjeux d’un autre ordre.

La confiance. Le manque de confiance est générateur de peurs, petites ou grandes, qui affectent au quotidien l’intimité de la relation. Le respect de valeurs partagées, une culture d’entreprise attrayante, une vision claire et ambitieuse, des informations claires et fiables, des ressources facilement accessibles et un droit à l’erreur et à l’innovation sont autant d’éléments créateurs de confiance, fondamentale à l’engagement.

La reconnaissance. À l’image des réseaux sociaux, on peut affirmer qu’un individu a besoin de « likes » pour exister. Pour consolider l’engagement au travail, tout ECOsystème doit donc favoriser l’échange des signes de reconnaissance dans son organisation et son management. Répondre aux besoins fondamentaux des individus ne peut pas être une option de confort ou de bien-être, mais doit être une nécessité incontournable à l’engagement.

La croissance. L’ambition saine de « devenir » est l’un des leviers puissants de l’engagement des acteurs au travail. La pratique régulière du feed-back et le développement des compétences incarnés dans la culture managériale de l’ECOsystème est un levier primordial de croissance et d’engagement.

La fierté. Par un cadre protecteur et fait de permissions, dont le droit à l’erreur, l’ECOsystème va répondre au désir du dépassement de soi que chaque individu est en légitimité de ressentir quand il agit avec plaisir et ambition. C’est par cette opportunité qui lui est offerte de pouvoir se dépasser que l’être humain va ressentir de la fierté à s’engager de tout son être. Il pourra ainsi dépasser le meilleur de lui pour devenir plus fort.

Le plaisir. Les sensations et les sentiments générés par les différentes étapes au travail construisent une expérience de vie. Cette expérience de vie au travail est un enrichissement pour l’individu, car elle peut le transformer, mais c’est aussi une richesse pour son ECOsystème, car elle va l’impacter pour le faire évoluer et s’améliorer.

Le partage. Un ECOsystème se construit et se renforce grâce à la quantité et à la qualité des liens et des relations entre tous ses acteurs. De même, chaque acteur grandit et devient plus fort grâce à la quantité et à la qualité des liens et des relations qu’il entretient avec les autres acteurs. Ces liens participent directement à consolider et à pérenniser l’engagement.

La coopération. Dans l’engagement au travail, existe un degré supérieur et encore plus altruiste, celui de l’engagement à aider chacun à travailler. Ce lien d’engagement des uns envers les autres est une forme de paroxysme de l’engagement. Savoir travailler ensemble, ce n’est pas seulement faire et agir ensemble, c’est aussi savoir s’aider à faire et à agir ensemble.

  • L’ère de la contribution

Dans le rapport que nous pouvons entretenir avec notre ECOsystème existe un stade supérieur à celui de l’engagement. Un stade dans lequel nous avons le souhait de mettre une partie de notre identité dans l’ECOsystème. Un stade où nous devenons une partie du tout, où nous dépassons la simple appartenance pour atteindre un niveau d’implication et de création du tout. Ce stade supérieur est celui de la contribution. Cette possibilité de mettre une partie de sa propre identité dans le travail et, de facto, dans le produit du travail est un aspect incontournable pour la performance de l’entreprise de demain et le bien-être des salariés.