PASCAL DEMURGER DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA MAIF
Pascal Demurger, directeur général de la MAIF et co-président du mouvement Impact France, revient sur le rôle politique des entreprises, leur capacité à répondre aux aspirations sociales et environnementales. Convaincu que l’entreprise doit être une force de transformation sociétale, il partage sa vision d’un leadership basé sur la considération et la durabilité garantis par l’esprit mutualiste.
Lors de notre dernière rencontre, en juillet 2023, vous figuriez parmi les dirigeants singuliers affirmant que l’entreprise a un rôle politique. Aujourd’hui, cette ligne est de plus en plus assumée. Allez-vous continuer à étoffer ce discours ?
Oui, je suis convaincu que l’entreprise a un rôle fondamental à jouer dans la transformation de la société. Elle peut avoir un impact significatif sur la cité tout en tirant des bénéfices tangibles, comme l’amélioration de sa marque employeur ou commerciale. Cela ne repose pas uniquement sur l’action individuelle de chaque organisation : le cadre réglementaire et fiscal doit également encourager cette transition. Il faut que les entreprises trouvent un intérêt immédiat à transformer leurs modèles, au-delà des bénéfices à long terme. Cette conviction, que je porte aussi dans mon rôle au sein d’Impact France, s’est renforcée au fil des années.
L’économie sociale et solidaire apporte-t-elle un récit collectif dont notre société a besoin ?
Notre époque traverse des crises de confiance profondes envers les institutions politiques. Une grande majorité de Français pense que l’entreprise est désormais l’actrice la mieux placée pour engager des changements structurels. Ce constat est à la fois une opportunité et une responsabilité. Le modèle de l’ESS répond particulièrement bien à cette quête de sens et de justice sociale, car il propose une approche équilibrée entre performance économique et impact humain. Le récit collectif proposé par les entreprises engagées est très fort : bien devant les politiques et même les organisations syndicales, les Français savent que c’est l’entreprise qui permettra de rentrer dans les transitions attendues.
Ces mêmes français qui craignent avoir perdu respect et reconnaissance de la part des politiques. Peut-on aller jusqu’à dire que le modèle de l’entreprise ESS réponde à cette quête de dignité et de justice attendus des Français ?
Absolument. Les attentes des salariés envers leurs employeurs évoluent rapidement. Une étude récente montre que 92 % d’entre eux recherchent du sens dans leur travail. Cela reflète une transformation sociétale majeure. Les gens ne sont plus prêts à travailler dans n’importe quelles conditions ou à n’importe quel prix. Si une entreprise ne parvient pas à aligner ses objectifs avec les aspirations légitimes de ses collaborateurs, elle aura des difficultés à les attirer et à les fidéliser. Répondre à ces attentes passe par une culture interne bienveillante, des relations interpersonnelles harmonieuses, et une gestion qui valorise la considération plutôt que la compétition.
Vous parlez également de mal-être au travail et vous y voyez un lien avec la montée des votes extrêmes ?
Oui, et les travaux du chercheur Thomas Coutrot corroborent cette idée. Quand on est mal au travail, soumis à des pressions constantes ou réduits à des tâches répétitives, cela peut entraîner un désengagement, un sentiment d’inutilité et donc, un recul démocratique. L’abstention et le vote extrême sont souvent les conséquences d’un mal-être profond, qu’il soit professionnel ou sociétal. Les entreprises ont donc un rôle à jouer pour améliorer non seulement la qualité de vie au travail, mais aussi la santé démocratique de nos sociétés.
Comment la MAIF incarne-t-elle cette responsabilité démocratique ?
À la MAIF, nous abordons cette responsabilité de plusieurs façons. D’un point de vue macro, nous cultivons un sentiment de communauté et de fierté collective, car je crois que l’entreprise est avant tout une organisation humaine. Sur un plan plus concret, nous avons mis en place des politiques de diversité et d’inclusion ambitieuses, pour que chacun se sente bien, quelles que soient ses origines ou son identité. Nous offrons également des espaces d’expression et d’initiative pour que les salariés puissent proposer des idées et influencer leur environnement de travail. Enfin, nous organisons des dialogues internes sur des sujets comme l’intelligence artificielle, où les salariés participent activement à la réflexion.
Justement, quels sont les enjeux liés à l’IA générative dans une entreprise mutualiste comme la MAIF ?
L’intelligence artificielle soulève des questions complexes, mais elle peut aussi offrir des opportunités extraordinaires si elle est bien utilisée. À la MAIF, nous avons récemment organisé cette convention sur l’IA pour répondre aux inquiétudes des salariés, identifier les meilleurs cas d’usage et réfléchir à la meilleure manière de déployer cette technologie. L’idée est de garantir que cette technologie soit déployée dans un cadre éthique, en respectant nos valeurs mutualistes. Le mutualisme est un modèle qui facilite les décisions à long terme, car il repose sur une gouvernance alignée sur les intérêts collectifs. Cependant, les principes de participation et de considération doivent aller bien au-delà des entreprises mutualistes et devenir des normes universelles.
Spécialistes et chefs d’entreprises concernés ont défini le mutualisme comme une « norme souhaitable ». Êtes-vous en phase avec ceci. N’est-ce pas excluant par rapport à d’autres formes d’organisation ?
Je crois qu’il faut considérer le mutualisme comme une forme relativement aboutie en la matière. C’est un type de fonctionnement dans lequel il y a structurellement moins de tensions, parce que moins d’intérêts divers. C’est un mode d’entreprise dans lequel on peut avoir plus facilement des visions, des politiques, des orientations de long terme. En revanche, le sujet de la participation, de la considération ne doit pas être le monopole des entreprises mutualistes et coopératives. Ce sont des sujets qui doivent s’imposer partout, que ce soit en interne ou en externe pour que la transition vers un monde plus social et plus durable s’effectue durablement.
Comme d’autres organisations mutualiste ou coopératives, La Maif reste une entreprise avec un dirigeant aujourd’hui incarné, médiatique et qui fait figure de leader dans son domaine : tout cela garantit-il tout de même la subsidiarité qui vous est chère à la Maif ?
C’est complètement cohérent. Le leadership moderne repose sur deux piliers complémentaires : l’autonomie et la verticalité. L’autonomie permet aux collaborateurs de s’exprimer, d’agir et de se sentir responsables de leurs missions. La verticalité, quant à elle, ne se limite pas à une hiérarchie rigide. Elle implique un leadership inspirant, capable de donner du sens, de fédérer et de construire un récit collectif. Mon rôle est d’écouter les propositions de mes équipes, de les analyser et de justifier mes décisions. Cela crée une dynamique de confiance et évite de faire peser sur les salariés des responsabilités qui ne leur incombent pas.
A travers « Impact France », vous plaidez pour le temps long des décisions… Le monde politique ne fonctionne pas ainsi. Et pourtant votre nom est régulièrement cité pour accéder à une responsabilité politique. Avez-vous une sorte de « second logiciel » à utiliser au cas où ?
Il faut une forme de cohérence dans la vie pour mettre en œuvre ce vers quoi on aspire. La mise en œuvre c’est la démonstration par l’exemple et j’y crois beaucoup. Si la Maif fait la démonstration que l’on peut diriger une entreprise autrement et être performant économiquement, alors cela peut inspirer d’autres chefs d’entreprises. C’est la première chose : agir en conformité avec ses convictions. Et la deuxième chose c’est promouvoir, comme je le fais avec Impact France, en communiquant dans la presse, en convaincant le plus possible les dirigeants politiques, les dirigeants d’entreprises et les autres mouvements patronaux.
Enfin, pouvez-vous nous parler des initiatives écologiques portées par la MAIF, notamment le dividende écologique et les fonds pour la biodiversité ?
Depuis 2023, le Fonds MAIF pour le vivant et le Fonds Nature 2050 soutiennent des projets ambitieux en faveur de la biodiversité et de l’adaptation des territoires au changement climatique. Ces initiatives traduisent notre volonté de nous engager activement face aux risques climatiques, tout en soutenant nos sociétaires. Le dividende écologique est un exemple concret de notre engagement pour conjuguer progrès environnemental et solidarité.