Mieux décider, cela s’apprend

16 min de lecture

Les soft skills, ou compétences comportementales, sont primordiales pour soutenir le décideur. Sans un soupçon de réflexion, pas de décision éclairée. Et cela s’apprend. Les principes à mobiliser ? Apprendre à développer ses compétences. Identifier l’origine de la décision. Définir les critères de décision.

Par Jean-Jacques Machuret , docteur ès sciences de gestion, Cnam, auteur de 7 Clés pour réussir. Excellez en toutes circonstances grâce à vos soft skills, VA Éditions, 2020

Les critères de la décision sont les plus importants à comprendre. L’économiste et sociologue Max Weber (1864-1920) nous propose un modèle résumé en deux axes : valeurs de responsabilité ou valeurs de conviction. Dans le premier axe, les valeurs de responsabilité sont relatives à la fonction occupée, que l’on soit citoyen, consommateur, collaborateur, conjoint ou membre d’une famille. Dans le deuxième axe, les valeurs de conviction sont relatives aux croyances ayant pour origine l’éducation socioculturelle. L’exemple nous a récemment été fourni par les restaurateurs, qui devaient assurer la vérification de l’identité de leurs clients. S’ils se plaçaient dans le champ de leurs responsabilités de commerçants, la décision se prenait immédiatement et sans débat s’il s’agissait de vérifier l’identité du client lors d’un paiement. Mais pour contrôler un passe sanitaire, les valeurs de conviction des restaurateurs prenaient le pas : il leur semblait impossible d’effectuer cette opération au motif que cela n’était autorisé par la loi, alors qu’ils le faisaient pour les paiements.

Le même conflit se présente lors de délits ou de crimes perpétrés par le membre d’un groupe. Les responsables religieux, militaires ou institutionnels vont-ils privilégier l’image de l’organisation ou protéger les victimes ? L’actualité nous démontre que, dans le cas de l’Église catholique en France, concernant les agressions sexuelles sur mineurs, dans le cas des officiers commandant le gendarme « tueur fou de l’Oise » en 1979, et dans celui de l’affaire Alain Duhamel, éludée par Sciences Po, la décision de protéger l’institution en privilégiant les valeurs de conviction ne fait que retarder la décision à prendre au nom des valeurs de responsabilité.

Il faut apprendre à prendre les décisions en ayant recours aux valeurs de responsabilité.

L’exemple significatif est celui des jurés de cour d’assises. Ils sont tenus de prendre une décision lourde de conséquences aussi bien pour les prévenus que pour les victimes. Une codification du raisonnement est proposée, inscrite dans la loi. Les personnes devenant jurés apprennent rapidement avec efficience à prendre une décision. Pour transposer ce modèle, il suffirait que le référentiel de décision existât et qu’il soit connu, compris et accepté pour qu’il soit appliqué. Les débats qui nous préoccupent aujourd’hui dans la société viennent du fait que pour certaines personnes les lois religieuses sont supérieures à la loi démocratique.

Prendre une décision est relatif au rapport entre l’effort à fournir et le bénéfice à en retirer, ou entre les contraintes à éviter et les bénéfices escomptés. Une expérience personnelle me conduit à conclure qu’une décision est facile à prendre dans l’hypothèse où le danger est largement supérieur aux efforts à fournir. J’ai le souvenir du professeur en cardiologie ayant conduit mon quadruple pontage, qui, il y a maintenant dix-huit ans, me déclara : « Monsieur, ne reproduisez jamais les événements qui vous ont conduit devant moi, car cette opération je ne peux la faire qu’une seule fois. » La décision à prendre était de changer d’hygiène de vie. Cela m’a permis de passer de 140 kg à 100 kg. Dans ces circonstances, j’ai appris très rapidement à prendre la décision qui s’imposait du point de vue de ma survie.

 

Les décisions prises dans le cadre des croyances sont aussi nombreuses que toxiques.

IBM a refusé d’acheter Microsoft au nom de la croyance en un modèle informatique obsolète. À l’inverse, les propriétaires de Lego ont accepté les conclusions du consultant qui avait commencé son rapport ainsi : « La force d’une organisation et d’accepter la réalité. » Niels Chistiansen en est le CEO, et Lego se porte à merveille. (Lire notre article « La story de Lego », People at Work no 4.)

Apprendre à prendre une décision consiste à définir qui l’on est et quel rôle on occupe dans la décision. La maîtrise de sa propre posture est l’élément clé des soft skills qui conduisent à ce résultat.

« Quand quelqu’un prend une décision, il se plonge en fait dans un courant impétueux qui l’emporte vers une destination qu’il n’a jamais entrevue, même en rêve. » Paulo Coelho

 

 

Apprendre à décider, où et comment ?

La capacité de décider et/ou de faire décider en sa faveur est relative à la capacité que l’on a à endosser la responsabilité de sa fonction. Force est de constater que les systèmes d’enseignement favorisent le fait de mémoriser, d’organiser, de coder et de traduire des informations relatives à une situation, que celle-ci relève du marketing ou soit de nature commerciale, économique, technique ou humaine. Le principe de décision, de choix, d’arbitrage entre les valeurs de conviction et les valeurs de responsabilité est laissé à l’initiative de l’individu par le moyen pratique du renvoi à ses origines socioculturelles. L’enseignement en général et l’enseignement supérieur en particulier laissent de côté la base du fonctionnement du comportement. Il faut noter la faible quantité et la densité négligeable des enseignements abordant les compétences comportementales, les soft skills, dans les cursus. Des études démontrent cette lacune.

Selon l’étude de Centre inffo[1] « Focus sur les softs skills, résultats d’enquête », réalisée en janvier 2020[1] :

  • 75 % des personnes interrogées n’ont jamais entendu parler des softs skills (Q 23).
  • 72 %, après une présentation de la définition, estiment que les softs skills, pour leur évolution professionnelle, sont des compétences indispensables/importantes (Q 24).
  • 62 % estiment que les softs skills peuvent s’apprendre, faire l’objet de formations professionnelles (Q 25).
  • 68 % n’ont jamais suivi de formation professionnelle visant à développer unee ou plusieurs soft skills (Q 27).

Comment pallier ces lacunes ? Cette question attend sa réponse.

 

 

Selon l’enquête BMO « Les compétences attendues par les employeurs », réalisée en 2017 pour Pôle emploi par BVA et le Crédoc[2] :

  • 60 % des employeurs considèrent que les compétences comportementales sont plus importantes que les compétences techniques.
  • 57 % des recruteurs regardent de façon prioritaire les compétences comportementales mentionnées dans le CV.
  • 59 % estiment que le diplôme n’est pas un critère essentiel.

Il reste un peu de travail chez les enseignants pour ajuster les contenus pédagogiques aux attentes du marché du travail. Actuellement, la réflexion des autorités définissant les contenus des formations initiales et professionnelles s’oriente vers les blocs de compétences dont le marché du travail a besoin. La capacité de prendre des décisions est le fruit des soft skills, des compétences comportementales souhaitées par les entreprises et les collaborateurs. Historiquement, la question ne se posait pas, l’éducation sociale faisant son office. Mais les générations actuelles sont plus mobilisées par l’intolérance à la frustration sur le thème « je décide d’abord pour moi-même » que par les décisions liées à leurs différentes responsabilités. Didier Pleux le fait comprendre avec talent dans Le Complexe de Théthis, Odile Jacob, 2017.

À ce jour, dans la limite de mes connaissances, je puis affirmer qu’apprendre à décider et apprendre à faire décider en sa faveur est de la responsabilité de la personne qui en éprouve le besoin dans le cadre de ses responsabilités. Mon conseil de mentor se porte sur des instruments simples. Il suffirait de maîtriser les préceptes, les concepts et les méthodes des soft skills fondamentales et l’exploitation du modèle dit « table de décision ». L’étape suivante consiste à se faire guider par la hiérarchie de son organisation pour développer la méthodologie, l’action et obtenir le résultat attendu. Il s’agit en fait de la même démarche employée dans le cadre de l’utilisation de Word, d’Excel ou de Power Point, qui sont des prérequis au recrutement, indépendamment de la fonction. J’ai concrétisé mon expérience de formateur, d’enseignant et de mentor en une centaine de pages : 7 Clés pour réussir, VA Édition, 2020. Ce vade-mecum des soft skills propose une réponse simple, efficiente et intemporelle pour se faire guider vers la double action de décider et de faire décider en sa faveur.

 

[1] https://www.ressources-de-la-formation.fr/index.php?lvl=notice_display&id=71391

[2] (http://www.pole-emploi.org/accueil/actualites/infographies/les-competences-attendues-par-le.html?type=article)