Marie-Jo Zimmermann : « Les quotas sont un mal nécessaire »

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La loi Copé-Zimmermann visant à imposer la parité dans les conseils d’administration des grandes entreprises françaises a dix ans. Il reste du chemin à parcourir pour parvenir à une véritable équité. Marie-Jo Zimmermann prône l’application d’une « réelle politique d’égalité professionnelle » à tous les niveaux.

Par Léa Masseguin

Dix ans après l’adoption de la loi Copé-Zimmermann, êtes-vous satisfaite des résultats ?

En ce qui concerne les entreprises du CAC 40, du SBF 120 et celles de plus de 500 salariés et 50 millions de chiffre d’affaires, les résultats sont incontestables. Les chiffres sont bons (lire encadré). L’objectif que l’on avait fixé il y a dix ans a donc été atteint.

 

Ce n’est malheureusement pas le cas des entreprises de plus de 250 salariés avec un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros. En effet, ces entreprises impactées par la loi de 2014 devaient atteindre 40 % de femmes dans les conseils d’administration en 2020. Aujourd’hui, elles atteignent un peu plus de 30 %. Cette loi n’a pas été suffisamment contrôlée et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes doit se pencher davantage sur cette question.

 

Par ailleurs, il est nécessaire de contrôler davantage la fonction publique. La loi Sauvadet de mars 2012 imposait là aussi des quotas, à la fois dans les nominations aux postes de direction mais aussi et surtout un meilleur­ contrôle de l’évolution de la carrière des femmes en son sein. Neuf ans après son adoption, les chiffres ne sont pas satisfaisants. Au lieu de continuer à empiler les lois, il faut s’astreindre à en contrôler l’application.

 

 

La féminisation des conseils d’administration a-t-elle eu un effet d’entraînement sur les autres organes de direction ?

Malheureusement, non. Contrairement aux conseils d’administration, il est très délicat de légiférer sur les comités de direction et sur les comités exécutifs, et d’imposer des quotas. L’entreprise doit effectuer un travail interne pour féminiser ces deux instances. L’évolution de carrière ne dépend pas seulement d’un quota, car les discriminations subsistent à la fois au moment de l’embauche ou lorsqu’il s’agit de proposer des formations, notamment pour les femmes entre 30 et 40 ans.

 

Je reste convaincue qu’il y aurait aujourd’hui plus de femmes au sein des comités de direction et des comités exécutifs si, comme le recommandait la loi Copé-Zimmermann, le conseil d’administration effectuait chaque année un rapport écrit sur la politique d’égalité des entreprises afin de faire des recommandations.

 

 

L’Assemblée nationale a voté en mai une proposition de loi pour imposer des quotas dans les comités de direction (voir encadré), qu’en pensez-vous ?

Cette loi est louable. Mais on ne peut pas imposer des quotas d’une façon abrupte sans avoir de lisibilité sur l’évolution d’une carrière. On ne peut pas analyser la problématique de l’égalité professionnelle sans se pencher sur les propositions de formation ou la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale.

 

On ne peut pas exiger d’avoir des quotas dans les comités de direction si une vraie politique d’égalité n’est pas appliquée à l’ensemble de l’entreprise. S’il y avait une meilleure lisibilité de l’évolution des carrières, les femmes se trouveraient automatiquement dans les instances de direction.

 

Et si la loi Génisson de 2001[1] avait été correctement appliquée, nous ne serions pas confrontés à l’obligation de légiférer à nouveau pour trouver des femmes au sein des instances dirigeantes. Les femmes doivent avoir la possibilité de grimper les échelons et ainsi de briser le plafond de verre, malheureusement toujours présent.

 

 

La pandémie de Covid-19 a-t-elle creusé un peu plus ces inégalités ?

Oui, cela a permis de toucher du doigt la vraie problématique liée à la femme au travail. Beaucoup de Français sont actuellement en télétravail, et ce sont les femmes, dans la plupart des cas, qui doivent s’occuper des enfants et gérer les tâches du quotidien dans leur foyer. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a que vingt-quatre heures dans une journée !

 

 

Où se situe la France par rapport à ses voisins européens en ce qui concerne les quotas ?

À l’échelle européenne, la France se situe à la première place .  Lors du sommet du G7 à Biarritz, en août 2019, notre pays a même été considéré comme un modèle pour les autres pays du monde grâce à la loi Copé-Zimmermann.

 

 

Que reste-t-il à faire pour améliorer la représentation des femmes à la tête des entreprises ?

Je suis une farouche partisane de l’application des lois concernant l’égalité professionnelle. L’Index de l’égalité professionnelle[2] répond à la question de l’égalité salariale, mais cela n’est pas suffisant. La culture de l’égalité n’est pas encore assez ancrée dans le monde du travail.

 

 

Que répondez-vous au camp « anti-quotas » ?

Je suis persuadée que les quotas sont un mal nécessaire. Certains parlent d’un « syndrome d’imposture » mais je ne suis pas d’accord ! Se pose-t-on la question lorsqu’il s’agit des hommes ? De nombreuses femmes ont peur de l’échec, de ne pas être à la hauteur. Or une femme qui a les mêmes compétences et les mêmes diplômes peut obtenir le même poste qu’un homme qui possède ces mêmes compétences. Pourquoi a-t-on encore des inégalités salariales en 2021 ? Ça suffit ! Il faut donner davantage confiance aux femmes.

[1] La loi no 2001-397 du 9 mai 2001, dite loi Génisson, a introduit, pour la première fois, l’obligation d’instaurer une négociation collective sur l’égalité professionnelle. Objectif : recenser et tenter de remédier aux inégalités constatées.

 

[2] Toutes les entreprises d’au moins 50 salariés doivent calculer et publier leur Index de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, chaque année, au 1er mars.