L’oeil de… Yann Arthus-Bertrand

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Le photographe utilise son appareil pour pointer les effets délétères des activités humaines sur la planète. L’actuel président de la Fondation GoodPlanet ne cesse de le dire : l’engagement est une question de survie.

Par Rezlaine Zaher , MEMBRE DU COMEX 40 DU MEDEF - AVEC BPI FRANCE

Avec votre film Vivant, vous souhaitez nous aider à prendre conscience de notre dépendance envers la biodiversité. Comment sensibiliser davantage les dirigeants à ce sujet ? 

L’intelligence collective est le meilleur moyen d’amener de la sensibilité sans culpabiliser mais en responsabilisant. Comment transformer notre civilisation d’une façon différente en faveur des enjeux écologiques ? C’est véritablement un questionnement profond et personnel qui passe d’une conscience personnelle à une conscience universelle. Je pense qu’il faut retrouver cette empathie qu’on avait quand on était enfant. Nous devons la développer envers tout le vivant qui est autour de nous. 

Vous avez récemment fait l’acquisition d’un terrain de 30 hectares de prairies dans les Yvelines : une réserve intégrale de biodiversité. 

Nous avons décidé de tout laisser pousser, ce qui peut paraître choquant, car nous sommes habitués à ce que l’homme maîtrise la nature. L’idée, c’est que cet endroit pédagogique soit ouvert à tous et reçoive même des entreprises. J’aimerais que cet espace soit le début d’une histoire qui inspire et annihile cette maîtrise constante du vivant. 

Pouvez-vous nous citer des initiatives ou des pratiques inspirantes d’entreprises pour préserver la biodiversité ? 

Pour ma part, l’initiative la plus concrète passe par l’alimentation bio. Dans la restauration collective, où est-ce que le bio est mis en avant ? Est-ce qu’on est capable de manger moins de viande en sachant que celle d’origine industrielle est en train de détruire la planète ? L’autre jour, j’ai fait une conférence à Science Po. La salle était remplie de jeunes. Je demande : « Qui est végétarien ? » J’ai eu 20 % de mains levées. Je rétorque : « Quels sont ceux qui ont envie de devenir végétariens ? » E t 6 0 % des bras se lèvent. On pose la question dans un public middle age, il n’y a que deux, trois mains qui se lèvent. Chez les jeunes, il y a une espèce d’intelligence que nous avons perdue. Je pense que, notre rôle, c’est d’aider la nouvelle génération. Notre travail, dans tous les cas, c’est d’informer les gens sur ce qui est en train de se passer. L’un de mes récents déclics a été cette ferme de 18 000 vaches qui a brûlé dans une seule exploitation au Texas. Nous faisons de l’industrie avec du vivant. 

Quelle est la place de l’innovation dans ces initiatives ? 

L’innovation, c’est revenir à l’essentiel. J’ai été parrain de la COP du climat étudiant avec beaucoup d’ingénieurs de l’École des mines. J’ai été passionné de voir que 3 000 jeunes venaient sur leurs fonds propres à Angers pour discuter et réfléchir entre eux. Nous sommes encore loin des grandes solutions, mais ces mobilisations sont essentielles. Nous avons mis en route un système qu’on ne peut plus arrêter, nous ne nous adapterons qu’à une seule condition : le partage et le vivre-ensemble. Est-ce qu’on a d’autres solutions que de s’engager ? Je vous donne la réponse : nous n’en avons pas d’autres. 

Concrètement, vers quelles structures les entreprises peuvent-elles se tourner pour être accompagnées sur les sujets de la biodiversité ? 

Nous avons Nature Environnement, une association qui regroupe toutes les petites associations françaises telles que Greenpeace, WWF, la Fondation GoodPlanet. Le Shift Project est aussi un noyau dur. Créé par Jean-Marc Jancovici, il regroupe dix ingénieurs qui réfléchissent sur des questions économiques, avec à leurs côtés 2 000 à 3 000 bénévoles. 

Quelles seraient vos propositions pour l’entreprise de demain ? 

Je ne suis pas chef d’entreprise, je n’ai pas leurs contraintes, ni l’intelligence d’un dirigeant. C’est lui qui sait exactement ce qu’il doit pouvoir faire pour sa boîte sans mettre en danger l’emploi de ses actionnaires. Le climat qu’on a eu pendant dix mille ans est parti à jamais, on ne le retrouvera pas. Le climat qui arrive aujourd’hui est un climat différent. On s’aperçoit que cela va toucher tout le monde : les entreprises, les familles, personne ne sera épargné. Un chef d’entreprise, c’est un homme comme les autres, il a des enfants, il a peur de la mort, il est comme tout le monde, on est tous dans le même bateau. 

Pour conclure notre échange, j’aimerais vous proposer, cher Yann, de finir cette phrase : « Il est temps de… » 

Il est temps d’aimer encore plus fort, de libérer en nous cet amour infini que nous devons avoir pour les autres et pour la vie. On dit souvent que c’est la beauté qui sauvera le monde. Mais aujourd’hui, avec l’âge et la réflexion, qu’est-ce que la beauté ? La beauté, pour moi, ce sont les gens qui s’engagent, ce sont les gens qui donnent, ce sont les gens qui partagent. Et cette beauté, elle a un nom, elle s’appelle « l’amour », tout simplement. C’est pour cela que je pense que l’amour de la vie fait partie aujourd’hui de ma conscience – elle arrive un peu tard, mais, comme je le dis souvent : je ne vieillis pas, je grandis.