L’incertitude est une chance !

13 min de lecture

Et si on acceptait de perdre le contrôle, de vivre avec le risque et l’échec ?

Par Serge Marquis , Médecin spécialiste en Santé communautaire

La peur et l’agressivité sont sans doute les émotions les plus primitives qu’on puisse imaginer. Sans elles, l’espèce humaine aurait depuis fort longtemps rejoint les dinosaures dans le registre des espèces disparues. Pendant des millénaires nous avons servi de nourriture à d’innombrables prédateurs. La peur a permis la survie : en provoquant la fuite ou le camouflage, on se cachait dans un buisson en espérant que le vent garde pour lui nos odeurs. Quant à l’agressivité, elle fournissait l’énergie nécessaire pour affronter les grands fauves qui voyaient en nous de quoi tartiner leurs canapés.

 

Les prédateurs ont changé. Au lieu d’avoir à faire face à de grands fauves, nous faisons face à la concurrence, aux pandémies, aux changements climatiques, à la pénurie de main-d’œuvre, aux fluctuations du marché boursier et autres imprévus qui bousculent nos parcours professionnels et personnels. Les objectifs, les planifications stratégiques – voire les missions d’entreprise – doivent sans cesse être revus à la lumière de ces « prédateurs » contemporains. Et il en surgit de nouveaux chaque jour. Ce n’est plus notre survie qui est menacée, c’est celle de nos institutions, de nos emplois, de nos valeurs et autres objets – fonctions, mandats, tâches – que nous utilisons pour construire nos identités et donner du sens à nos vies.

 

Or, quand nos identités se sentent menacées, les réactions primitives demeurent les mêmes que si nous faisions face à de grands fauves ! Force nous est donc d’admettre que la peur et l’agressivité sont omniprésentes dans nos institutions. La fuite prend maintenant la forme du désengagement, de la démotivation et de l’épuisement. Quant à l’agressivité, elle mine la fluidité fonctionnelle à travers les innombrables conflits qui nuisent au travail d’équipe : les massues ont été remplacées par des mots ou par la rétention d’informations !

 

Or, pour apaiser l’inconfort lié aux réactions primitives, l’être humain a inventé un remède : le contrôle ! Tout prévoir ! Vivre dans la certitude, c’est-à-dire : une illusion !

 

Pourquoi Nietzsche nous dit-il que la certitude pouvait rendre fou ? Parce qu’on tente de se protéger avec ce qui n’existe pas ! La certitude devient une prison de l’esprit. C’est l’attachement à une idée qui empêche de voir toutes celles que pourrait concevoir l’imagination, tant individuelle que collective. La certitude prive de la liberté de créer. Elle accentue ainsi la peur et l’agressivité ; l’envers de ce qu’elle cherche. En tentant d’assurer la sécurité, elle tue la liberté. On peut passer sa vie à se fabriquer des certitudes et à les défendre contre d’autres certitudes alors que c’est l’incertitude qui offre la souplesse, l’accès à l’intelligence et la possibilité de se réinventer. Mais vivre avec l’incertitude implique de vivre avec le risque et l’échec. Or l’échec est lui aussi une illusion, une fabrication de l’esprit humain. Pour faire du surf sur la phrase de Nietzsche : « Ce n’est pas l’échec qui rend fou, c’est de ne pas voir l’apprentissage qu’on peut en tirer. »

 

 

Comment gérer l’incertitude plutôt que de la transmettre ?

 

En la reconnaissant d’abord chez soi. En l’acceptant ! On peut même le faire volontairement et consciemment. Le grand spécialiste de la communication humaine Marshall Rosenberg suggérait, lors d’une conférence – je le paraphrase – de s’arrêter quelques instants, de placer son attention sur les sensations que fait vivre l’incertitude et de dire : « Je ressens l’incertitude et je l’accepte. Elle fait partie de la condition humaine. »

 

En examinant régulièrement ce que nous percevons comme des menaces ! Il faut un autre temps d’arrêt pour séparer le réel de l’imaginaire ; le cerveau reptilien ne fait pas spontanément cette distinction, bien au contraire. On doit donc se poser la question (on peut le faire individuellement et collectivement) : « Qu’est-ce que mon cerveau primitif considère comme un ou des prédateurs ? » et en faire la liste. On peut alors se demander, afin de déjouer le cerveau reptilien : « Est-ce que ma survie est réellement menacée ? » et constater que ce n’est jamais le cas.

 

Comment vivre avec la peur d’échouer ?

 

En mettant à contribution tous les membres du clan ! Ce qui rassure, c’est le collectif : autrefois il était plus facile de se défendre contre un prédateur à quarante que tout seul. Aujourd’hui, ce ne sont plus les bras et les jambes qui nous permettent de nous protéger, ce sont les cerveaux et les cœurs. On doit donc mettre en place des espaces de parole pour les solliciter ; ce qui est difficile dans un monde où la réflexion est trop souvent considérée comme une perte de temps. Un des plus beaux cadeaux qu’un manager puisse offrir à ses collaborateurs, c’est le témoignage de sa confiance en leur intelligence.