Les talents sont devenus exigeants
Où sont passés les « talents » ? Beaucoup ont changé de priorités ces dernières années : déménagement, refus de conditions autrefois acceptées, envie de penser leur équilibre autrement. Ils ne souhaitent plus travailler ? Ce n’est pas notre expérience. L’engagement est justement au cœur de leurs préoccupations. On parle de Great resignation aux Etats-Unis, les Français, eux, sont loin d’être résignés.
Alors, que souhaitent les « talents » aujourd’hui ? La réponse dépend de chaque personne : nous assistons à une individualisation des parcours et du travail, récemment décrite par Étienne Grass dans Les Échos sous le titre « Montessori tout au long de la vie », en référence aux parcours d’apprentissage individualisés de cette méthode. Les talents s’autorisent de plus en plus à penser leur travail selon leurs propres critères. Repérer ses moteurs, ses zones de confort, connaître son organisation idéale et son efficacité maximale permettent de viser cette personnalisation, à confronter avec les besoins de l’entreprise. C’est ce que nous vivons au quotidien auprès des personnes que nous accompagnons.
Christophe, par exemple, est DRH et aime mettre en place, partir d’une page blanche. Il travaille à temps plein, à son compte, et partage son temps entre deux ou trois petites structures. Quand la fonction RH est bien installée, il se désengage progressivement et recrute son successeur pour aller relever un nouveau défi. Comme beaucoup de spécialistes « à temps partagé », Christophe ne reviendrait pour rien au monde à un bon vieux CDI.
Pour Tiphaine, maman de jeunes enfants, allier équilibre et stimulation intellectuelle est essentiel : elle a rejoint une start-up comme bras droit à trois cinquièmes de la directrice financière. Elle s’implique dans les dossiers RH en complément du contrôle de gestion, dont elle est experte, une évolution désirée et obtenue qui apporte un sens supplémentaire à son quotidien.
De son côté, Patricia est « slasheuse » : elle a récemment créé son activité de massages de shiatsu et assure en parallèle des missions administratives auprès de TPE pour équilibrer cette activité physique et compléter ses revenus.
La personnalisation est réelle, mais ce n’est pas pour autant la fin du CDI à plein temps qui répondrait à de vrais besoins de part et d’autre. On se dirige certainement plutôt vers un modèle hybride entre salariat et travail indépendant, entre travail au bureau et travail à distance, entre temps plein et temps partiel choisi.
Une tendance de fond rassemble largement les talents : ils recherchent aujourd’hui un alignement entre ce qu’ils sont, leur travail au quotidien et les valeurs de l’entreprise qu’ils rejoignent.
Cela les pousse notamment à rejoindre plus volontiers des entreprises à mission, par exemple, ou à quitter un emploi pendant la période d’essai s’ils se rendent compte que la réalité du poste et du management ne correspond pas à leur perception initiale. Autant d’exigences qui poussent les entreprises à multiplier les efforts pour clarifier et afficher de manière authentique et fidèle leur raison d’être, l’ambiance « maison », les enjeux et les responsabilités des postes, par exemple. Cette profonde aspiration à être aligné et à sa juste place rejoint l’envie d’être pleinement utile et de mettre son énergie là où l’on a la plus grande valeur ajoutée plutôt que dans des reportings chronophages.
Tout cela pose des défis au management, qui doit naturellement s’adapter – avec l’autonomie et la souplesse demandées, fédérer les équipes hybrides requiert un peu de créativité, surtout pour faciliter le travail collectif ! Le manager est plus attendu comme facilitateur, créateur de lien et animateur que comme détenteur d’autorité. Permettre à chacun de donner le meilleur de soi-même en se sentant responsabilisé à son niveau n’exclut certainement pas le fait de fixer des objectifs clairs et un cadre rassurant à l’exercice de l’activité, mais en ayant recours au dialogue. Dialogue individuel et concertation en équipe. Nous l’avons vu très clairement avec la mise en place collective d’une charte de télétravail au sein d’une société cliente : le simple fait de construire en commun cette charte a permis de mettre à plat des manières de travailler et des chemins d’efficacité, tout en créant un lien précieux au sein de l’équipe.
Le manager a au moins deux autres défis à relever à mon sens : veiller à installer la confiance et à simplifier autant que possible les process. La confiance est indispensable pour le travail hybride, elle se construit, s’entretient et même s’apprend. Je suis frappée par le nombre de candidats qui recherchent cette confiance dans leur univers de travail. Ils veulent aussi de la simplicité et de l’agilité. Or il est plus naturel d’ajouter des outils et des solutions pour répondre à des blocages ou à des manques (canaux de communication, reporting…) que d’enlever ou de penser différemment. Alléger est donc un réel défi.
Finalement, ces exigences des talents qui débouchent sur une grande difficulté à recruter actuellement contribueront peut-être à rendre l’entreprise plus agile et plus centrée sur l’humain, elles lui permettront probablement aussi de profiter de ces autres formes de travail pour dénicher des compétences finalement mieux ajustées à leurs besoins. C’est une opportunité à saisir.