Le sentiment d’injustice en entreprise : un fléau que l’on peut soigner !

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Le monde des affaires, souvent perçu comme un univers où l’objectivité et la rationalité prévalent, ne fait pas exception à la réalité humaine des émotions et des perceptions. Le sentiment d’injustice,  émotion, trop souvent négligée, peut avoir un impact considérable sur le bien-être des employés et sur la performance des entreprises. Les conseils de Emmanuel Lavergne, fondateur du cabinet Co. Devenir.

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Le Sentiment d’Injustice serait une « menace sous-estimée » : que voulez-vous dire ?  

Les enquêtes et études en entreprise révèlent que le sentiment d’injustice est une cause majeure du désengagement des employés. Gallup[i][i], par exemple, met en évidence qu’il est la première cause du burnout, un fléau qui afflige de nombreux travailleurs. De leur côté, les jeunes générations, par leur quête de justice, réveillent celle à laquelle certains de leurs aînés ont renoncé, pris dans un cynisme protecteur.

L’équité est donc une clé de performance ? 

Il est impératif que le sentiment de justice soit maintenu à un niveau optimal pour que l’entreprise ou l’équipe puisse délivrer son meilleur. Cependant, il est regrettable que ce sentiment, parce qu’il relève du ressenti, soit rarement pris en compte dans les baromètres d’engagement ou les études de prévention des risques. L’une des raisons de cette omission réside dans la confusion entre ce qui est perçu comme juste et ce qui est légal. Or l’application d’une loi peut être injuste. Et beaucoup d’entreprises s’arrêtent au respect de la Loi, que la notion de justice dépasse largement.

Sur quels critères repose le sentiment de justice ?  

Ils sont au nombre de trois. Tout d’abord, la clarté et le sens des critères sur lesquels reposent les décisions. Ensuite, l’application effective de ces critères, sans favoritisme ou passe-droit. Les promesses non tenues créent un sentiment d’injustice. Enfin, la manière dont les décisions sont communiquées. Apprendre des décisions par des canaux non officiels révèle un manque de considération. La considération reconnait la dignité d’une personne et fonde le sentiment de justice. « Le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais l’indifférence » disait Elie Wiesel. Le livre remarquable de Jean-François Berthelot, « Le sentiment d’injustices en entreprise. Anticiper pour assurer la performance », décortique ses mécanismes. L’auteur cite notamment la « Schadenfreude », un terme allemand sans traduction française, décrivant la joie ressentie à la vue de l’échec d’autrui. Il s’agit en réalité d’un sentiment né d’une perception d’injustice : si l’on perçoit quelqu’un comme injuste, c’est-à-dire comme ne respectant pas les règles justes de la société, on peut se réjouir de son échec, considérant ainsi que la justice a été rétablie « Bien fait pour lui ! ». C’est une manière de voir la justice rétablie. C’est ainsi qu’un arbitre prenant des décisions inexplicables (critères peu clairs ou favoritisme) ou un joueur snobant le public (manque de considération) seront perçus comme injustes. La mémoire collective regorge d’exemples récents illustrant ce point. Avec la « Schadenfreude », ou joie maligne, on serait tenté de cacher à un chef ou un collègue injuste des choses qui lui seraient utiles et qui feraient avancer l’entreprise, alors qu’on les mettrait volontiers à disposition d’un collègue ou d’un manager que l’on percevrait comme juste. Face à un supérieur ou à un système régulièrement perçu comme injuste, il est possible de s’engager moins, voire de s’opposer de manière passive ou discrète, voire de saboter dans les cas les plus graves. La liste des conséquences néfastes de ce sentiment d’injustice est longue : turn-over, absentéisme, présentéisme, burnout, désengagement, pertes de temps, conflits, maladies mentales et cardio-vasculaires. L’anxiété, provoquée par le sentiment d’injustice, libère du cortisol, un véritable poison pour le corps et l’esprit.

 

Le besoin de justice est donc un besoin fondamental 

Le besoin de justice est un des besoins humains les plus profonds. Selon les neurosciences, dès l’âge de 18 mois, un bébé peut ressentir l’injustice, ce qui active les zones chaudes de notre cerveau, réveillant le cerveau reptilien qui nous alerte en cas de menace vitale. Pour un compétiteur, une privation injuste de demi-finale est une menace quasi-existentielle. Alors, que devons-nous faire en entreprise ? La première étape consiste sans doute de rester en éveil. Poser la question, « sur une échelle de 0 à 10, quel est le sentiment d’injustice dans l’entreprise ? » lors d’un comité de direction, par exemple, offre une opportunité précieuse pour mettre en lumière les leviers d’engagement et de performance. En somme, reconnaître et corriger le sentiment d’injustice en entreprise est crucial pour favoriser un environnement de travail sain et productif. En prêtant attention aux éléments fondamentaux de la justice et en encourageant la considération envers les autres, nous pouvons contribuer à édifier des entreprises prospères et équitables.