Le Grand Entretien : Bernard Mounier, PDG de Bouygues Immobilier

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Bouygues Immobilier fait partie du grand écosystème du groupe Bouygues. Objectif de l’organisation : inventer des lieux de vie en phase avec la nature, travailler de concert avec les collectivités territoriales, contribuer à la ville de demain, tout en valorisant des comportements responsables et respectueux vis- à-vis des collaborateurs. Une vision portée par Bernard Mounier, président de Bouygues Immobilier.

Par Anne-Cécile Huprelle

L’expérience collaborateur fait partie des axes stratégiques de Bouygues Immobilier. Quelle en est votre définition propre ?

Les collaborateurs sont plus engagés s’ils sont motivés par leur mission, mais aussi si le cadre de travail offert par l’entreprise est propice à leur épanouissement professionnel et personnel.
Et c’est le principe qui gouverne Bouygues depuis sa création. Francis Bouygues, le fondateur du groupe de BTP, avait un principe : quand un collaborateur franchit la porte de l’entreprise, il doit avoir le sentiment d’être à l’endroit où il vivra la meilleure expérience. À l’époque, il y a quarante ou cinquante ans, cette réflexion d’avant-garde ne parlait pas à grand monde. Aujourd’hui, nous avons des éléments de comparaison. « Vivre la meilleure expérience », cela veut dire quoi ? Quand je me rends au travail, je dois retenir une expérience positive. Quelle qu’elle soit, même de courte durée. C’est cela l’expérience collaborateur. Pour que cette expérience soit positive, il faut, en premier lieu, que la rémunération soit en adéquation avec le poste et le niveau de responsabilité. Donc, on doit avoir les moyens de comprendre les rémunérations, de voir leur fonctionnement et d’avoir des éléments de comparaison. Généralement, on ne les donne pas. Je crois qu’il le faut. Nous sommes dans le marché privé, on doit dire qu’une rémunération à tel poste, cela correspond à tel salaire. Ensuite, il faut une qualité de vie qui corresponde aux attentes des salariés. On évoque souvent l’équilibre vie pro et vie perso. Je pense qu’il faut surtout répondre aux attentes de chacun. On peut souhaiter, à un moment de sa vie professionnelle, être challengé, avoir des projets plus importants et, à d’autres moments, vouloir consacrer plus de temps à sa famille, à ses loisirs… Nous devons être à l’écoute de ces attentes pour y répondre, projeter nos collaborateurs au bon moment sur les bonnes missions en fonction de leurs aspirations. C’est cela aussi l’expérience collaborateur.

La communication semble essentielle…

Bien sûr, c’est fondamental. En tant que salarié, par exemple, je dois savoir quels sont les postes ouverts dans le groupe : la transparence doit être la règle, et la mobilité ne doit pas être un tabou. Ce principe s’applique aussi pour la gestion de carrière, la formation et la juste rémunération. Les managers à l’ancienne, qui croient pouvoir freiner la mobilité de leur équipe, n’ont vraiment plus leur place dans l’entreprise.

Concrètement et en pratique, comment faites- vous vivre l’expérience collaborateur ?

L’expérience collaborateur commence dès l’intégration dans l’entreprise. Nous accompagnons nos nouveaux talents dès leur arrivée et nous veillons à les rendre acteurs de leur intégration. Un parcours personnalisé leur permet de rencontrer des interlocuteurs clés et de découvrir les métiers. Des sessions immersives de type « vis ma vie » permettent également de partager le quotidien des équipes opérationnelles pour expérimenter nos métiers au plus près du terrain. Ils participent également à un séminaire d’intégration de deux jours durant lequel ils effectuent la Fresque du climat, outil innovant pour comprendre les bases scientifiques du dérèglement climatique. Nous mettons à disposition des escape games sur nos enjeux et réalisons des rencontres avec des experts et des membres du comex. Ces échanges privilégiés permettent de mieux appréhender l’univers, la culture et la vision stratégique de l’entreprise. Au-delà de l’intégration, nos équipes vivent une expérience collaborateur positive quand elles sont mobilisées et engagées dans la stratégie de l’entreprise et de ses transformations, très nombreuses dans le contexte actuel.

Vous prônez un management fondé sur la transparence. N’y a-t-il pas des limites ?
Ce n’est pas facile. Un bon manager est une femme ou un homme qui sait donner un cap et les moyens pour l’atteindre. Cela nécessite d’être très clair avec son équipe sur les objectifs fixés. Sans transparence, il n’y a pas de confiance ! Nous avons d’ailleurs choisi d’accompagner prioritairement les managers dans l’art parfois complexe du feedback. L’exercice est essentiel, car il permet de partager un retour, qu’il soit positif ou plus négatif, sur la

Il faut donc des managers qui sachent manager et qui aiment ça…
Le monde du travail bouge très vite. Aujourd’hui, le collaborateur travaille partout avec une grande liberté d’organisation. Le télétravail a challengé nos manières de manager. Le manager doit donner des objectifs très clairs et mesurables, suivre l’atteinte de ces objectifs en accompagnant son collaborateur tout au long de l’année. En contrepartie, celui-ci doit connaître son objectif, disposer des moyens nécessaires et être en accord sur le timing pour l’atteindre : à lui ensuite de s’organiser.

Est-ce plus compliqué de recruter des managers ou des collaborateurs ?
Chez Bouygues immobilier, nous avons une majorité de cadres. Oui, c’est compliqué de recruter des cadres. Et c’est là que l’attractivité marche à plein régime. Les candidats regardent tous les atouts que peut offrir une entreprise avant de s’y engager : sa performance, les perspectives de carrière, la rémunération, les conditions de travail proposées, telles que le télétravail, l’environnement de travail… et ils doivent être en phase avec les valeurs et la raison d’être de l’entreprise. Dans nos métiers, nous recrutons des profils « pénuriques ». Nous n’allons pas forcément nous arrêter à une formation ou à un diplôme, mais davantage rechercher une expérience, un état d’esprit, une personnalité et, surtout, une envie !

Les objectifs RSE et l’impact positif que doit générer l’entreprise sont-ils indissociables de cette expérience collaborateur ?
C’est indissociable, car le fait de nous imposer des objectifs ambitieux d’impact RSE (environnementaux et sociétaux) à toutes les étapes du fonctionnement de l’entreprise et sur toutes nos opérations nécessite d’impliquer les collaborateurs convaincus. Et ils le sont, c’est même une base de leur engagement, car c’est le sens qu’ils viennent trouver au travail.

Comment pilote-t-on une entreprise pour en faire un endroit où il fait bon travailler ?
Par un dialogue constant et nourri au niveau managérial et au niveau de l’ensemble de l’entreprise à travers des enquêtes de perception et, bien sûr, avec nos partenaires sociaux. Il est important de promouvoir la liberté de parole à l’intérieur de l’entreprise, qu’elle soit hiérarchique ou transverse, afin que chacun puisse exprimer ses idées et contribuer ainsi à la dynamique de l’entreprise.

On sait que capter les talents et les faire prospérer au sein d’une entreprise est un challenge aujourd’hui : est-ce aussi votre constat ?
Bien sûr, c’est pour cela que nous proposons une offre de formation sur mesure. Chaque collaborateur a accès à des formations, riches et diversifiées, pour développer ses « compétences métiers », acquérir des notions de développement personnel, mais aussi managériales. Elles sont dispensées par des formateurs internes et externes, au sein de notre Université d’entreprise. Chaque salarié a accès à une plateforme de formation en ligne. Pratiques pour la gestion du temps, ces formations se suivent à la demande, en toute autonomie, par une simple connexion sur PC, tablette ou smartphone. Bouygues Immobilier a également déployé plusieurs académies de métiers destinées à professionnaliser nos équipes, mais aussi à accompagner les mobilités de nos collaborateurs, qui vont, par l’intermédiaire de ces académies, apprendre un nouveau métier. Aujourd’hui, les talents passent dans les entreprises, dans un esprit de montée en compétences… C’est pour cela que Bouygues Immobilier souhaite être un accélérateur de carrières en nouant des liens étroits avec des business schools et des partenaires d’excellence pour accompagner ses talents tout au long de leur parcours. Rejoindre Bouygues Immobilier, c’est faire le choix d’une entreprise qui donne à ses collaborateurs les moyens d’enrichir leurs compétences afin d’accompagner le développement de leur carrière grâce à des programmes sur mesure, mais aussi des dispositifs de mentoring, coaching interne et externe… Cette palette d’offres est indispensable pour promouvoir l’évolution des collaborateurs, leur mobilité interne, toujours encouragée et privilégiée. Une grande majorité des postes clés sont pourvus en interne, et nous en sommes particulièrement fiers !

Quels sont les dispositifs que vous avez mis en place en matière d’accompagnement de la parentalité ?
Parce que la garde des enfants est au cœur de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, Bouygues Immobilier contribue à une partie des frais de garde via un système de chèques emploi service universel. Nous complétons aussi les indemnités journalières du congé de paternité ou d’accueil de l’enfant. Le collaborateur ou la collaboratrice qui bénéficie de ce congé touchera son salaire à taux plein pendant toute sa durée. Nous souhaitons ainsi que l’impact sur la fiche de paie ne soit plus un frein à la prise de ce congé qui reste très précieux. Enfin, nous avons signé la charte de la parentalité en 2021 afin de rappeler notre volonté d’agir en faveur de la parentalité sous toutes ses formes (monoparentalité, homoparentalité…), tout en privilégiant un environnement de travail et une culture managériale qui permettent à nos équipes, et notamment aux pères et aux mères, de s’épanouir professionnellement et personnellement.

Bouygues Immobilier propose un package de rémunération : salaire, épargne salariale, intéressement-participation… De tels avantages constituent-ils encore des leviers attractifs ?

La motivation ne réside pas dans le salaire, mais dans le bien-être, la considération. Notre package de rémunération est dans le marché, mais ce n’est pas la seule chose. Les collaborateurs qui quittent l’entreprise ne le font pas pour une considération financière, ils quittent une entreprise qui ne leur convient pas. La première chose, c’est le sens de ce que vous faites.

Justement, les grands groupes doivent réfléchir à leurs impacts environnementaux et sociaux : quels sont les vôtres ?
Quel est le sens de notre métier, quelles sont les valeurs du groupe qui demeurent quand le salarié rentre chez lui ? Nos équipes sont demandeuses de réponses. Il m’apparaît évident qu’un promoteur doit construire la ville dans laquelle nous allons habiter demain. Vous êtes à la fois collaborateur ou collaboratrice et vous habitez dans la ville que vous êtes en train de créer. En tant que collaborateur, il ne faut pas que je sois tiraillé entre un métier qui ne correspond pas à mes attentes et ce que me demande l’entreprise. Plus de 30% des émissions de gaz à effet de serre en France sont imputables au secteur de l’immobilier et de la construction, qui participe aussi à produire un quart des déchets en Europe. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce constat ! Pour que l’immobilier cesse d’être une partie du problème et fasse résolument partie des solutions, nous nous sommes fixé des objectifs extrêmement ambitieux en matière de réduction de notre empreinte carbone, de préservation de la biodiversité, mais aussi d’économie circulaire. Nous avons accompagné tous nos collaborateurs dans cette démarche en les formant au bas carbone et à la biodiversité. Cette ambition se retrouve dans notre signature résolument tournée vers l’avenir et vers la vie.

Justement, depuis 2021, vous avez une nouvelle base line, « La vie commence ici », pour incarner la marque Bouygues Immobilier, accompagner vos valeurs et vos ambitions RSE : est-ce une raison d’être ?

Oui, car on fabrique la « ville de demain ».

La ville de demain c’est : le logement, le bureau, l’école, les commerces, le quartier… Or, comment faire pour accompagner la vie et ne pas l’éteindre ? Je ne dois pas épuiser la planète avec les ressources qui me permettent de faire mon job.

 

En tant que président donc, décideur, ressentez-vous la nécessité de faire évoluer les choses, voire en avez-vous le pouvoir ?

Nous devons nous engager, en tant que promoteur, à être l’acteur du changement nécessaire et profond des façons d’imaginer et de réaliser la ville. Une ville belle et plus respectueuse de notre planète. Trouver les moyens de faire de la construction en préservant la planète, c’est audacieux, mais j’ai la chance d’être entouré par des collaborateurs alignés avec ce projet. Ces objectifs de bon sens sont aujourd’hui partagés par le plus grand nombre : respirer de l’air pur, décarboner les activités humaines, réduire les énergies polluantes, favoriser la mobilité douce… Et vous savez, j’ai 63 ans, à mon âge, on regarde moins les rémunérations et les avantages que l’impact qu’on laisse…