Le Grand Entretien : Benoît Coquart, Directeur Général du Groupe Legrand

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Le Groupe Legrand a pour raison d’être d’« améliorer les vies » en transformant les espaces personnels et professionnels avec des infrastructures électriques et numériques, des solutions connectées qui se veulent simples, innovantes et durables. Le Directeur Général, Benoît Coquart, nous parle de l’engagement de ses 38 000 collaborateurs.

Par Anne-Cécile Huprelle , Rédactrice en Chef de "People at Work"

Comment pourriez-vous définir l’expérience collaborateur ?

L’expérience collaborateur correspond au parcours d’un collaborateur tout au long de son évolution au sein d’une entreprise, de sa recherche d’emploi au moment où il quitte l’entreprise. Chez Legrand, nous mettons tout en oeuvre pour que cette expérience soit la plus réussie et faisons en sorte que les femmes et les hommes qui ont été séduits par notre entreprise se sentent tellement bien qu’ils aient envie de rester, de s’engager, de prendre des risques, de progresser, de se former pour contribuer à l’histoire et au succès de Legrand. Plus concrètement, cela veut dire attirer les bons talents et, quand ils sont chez nous, leur procurer un environnement de travail épanouissant, avec des défis stimulants et la possibilité d’évoluer vers de nouvelles fonctions. C’est par exemple offrir aux personnes qui le souhaitent une expérience à l’étranger en fonction de leurs envies et de leurs besoins. L’expérience collaborateur, c’est une globalité.

Vous aurais-je posé la même question il y a trois ans ?

Vous l’auriez peut-être fait, mais dans des termes différents, car on ne parlait pas tellement d’expérience collaborateur. Pendant longtemps en effet, nous nous sommes, comme bon nombre d’entreprises, concentrés sur l’expérience client, pour optimiser le parcours de celui-ci et son rapport à la marque dans un objectif de satisfaction et de fidélisation. Mais depuis, et notamment avec tous les enjeux découlant de la période post-Covid, le sujet est devenu critique pour les entreprises. Les salariés sont à présent plus exigeants. Dans les entretiens d’embauche, ils parlent beaucoup moins qu’avant de perspectives d’évolution et beaucoup plus d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle…

Lorsqu’on est à la tête d’une entreprise cotée, avec ses exigences de business et de performance, comment gère-t-on des collaborateurs en quête de sens : est-ce un frein ou une opportunité ?

Je n’oppose pas la performance financière et le reste. Je suis d’ailleurs convaincu que performance financière et performance extra-financière sont indissociables. Notre capacité à attirer et à retenir les talents, à développer les compétences et à engager les équipes en leur donnant de la visibilité sur la stratégie de l’entreprise et les buts à atteindre… tout contribue naturellement à la réussite d’une entreprise comme la nôtre. Donner du sens n’est donc pas incompatible avec les exigences de performance, bien au contraire. Cela relève de la responsabilité de l’entreprise, tout comme il est de notre responsabilité de bien rémunérer les équipes, de les motiver, de leur donner un environnement et des conditions de travail satisfaisants, etc. Sur ce dernier point, et pour vous donner un exemple, nous faisons preuve de beaucoup de flexibilité concernant le télétravail, particulièrement depuis la crise sanitaire, tout comme nous prenons en compte les contraintes personnelles de toutes et tous avec beaucoup de bienveillance. C’est fondamental pour l’engagement des équipes, c’est fondamental pour l’équilibre vie privée-vie professionnelle. Nous sommes également très attentifs à la santé et à la sécurité de nos salariés et avons inscrit dans notre feuille de route RSE des indicateurs exigeants pour que tout soit bien mis en oeuvre pour assurer les meilleures conditions de travail aux équipes, partout où nous sommes implantés.

Récemment, des débats autour du greenwashing (ou « écoblanchiment ») des grandes entreprises françaises ont été relayés par les médias grand public. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Je ne me prononcerai pas pour les autres. Ce que je peux vous dire, en revanche, c’est que, chez Legrand, on fait ce que l’on dit et on dit ce que l’on fait. C’est valable également pour les sujets qui concernent le « green » au sens très large et qui tiennent d’ailleurs une place importante dans notre cinquième feuille de route. Depuis la création de la fonction « développement durable » en 2004 et la mise en place de notre première feuille de route RSE de 2007, notre reporting extra-financier est extrêmement rigoureux et apprécié par nos parties prenantes, qui suivent nos progrès. Cette cinquième feuille de route nous engage à progresser sur de nouveaux pans, comme celui de l’économie circulaire et de la réduction de notre empreinte carbone, et nous invite à entraîner nos partenaires dans toutes nos actions, qu’elles soient favorables à l’environnement ou à l’égalité. Legrand accompagne le développement des bâtiments durables.

Avez-vous toujours eu ce souci RSE où avez-vous évolué en ce sens ?

Nos produits sont des produits d’infrastructure, ils sont installés dans les bâtiments pour une durée qui est, en moyenne, assez longue.Historiquement, notre offre est développée  pour la sécurité des utilisateurs ; la durabilité et la fiabilité sont donc des principes qui guident le développement de nos solutions. Évidemment, la RSE crée de nouveaux défis, que nos équipes relèvent et saisissent comme des opportunités. L’écoconception tout d’abord mais aussi l’analyse du cycle de vie des produits, les principes de l’économie circulaire ou encore l’utilisation de matières recyclées qui sont dorénavant à prendre en compte dans la conception de nos produits. On peut aussi parler des évolutions que Legrand a prises en compte avant qu’elles ne s’imposent à nous. Si on parle d’efficacité énergétique, par exemple, je soulignerais que le pilotage et la maîtrise de la consommation d’un bâtiment sont possibles déjà depuis plusieurs années grâce aux solutions du groupe (appareillage et tableau connectés, thermostats pour les logements mais aussi onduleurs et solutions pour data centers). La crise énergétique de 2022 a permis finalement de mesurer l’intérêt grandissant de ces solutions.

L’activité de Legrand est en constante évolution. Et pour cause, elle doit relever des défis liés à la croissance démographique, à l’urbanisation, à l’urgence environnementale, à la santé, à l’autonomie et au bien-être. Comment cette adaptation constante se traduit-elle dans le management des équipes ?

La digitalisation, l’urgence climatique, les défis énergétiques ou encore l’évolution des modes de vie et de travail sont effectivement de grandes tendances sociétales, environnementales et technologiques qui créent de nouveaux besoins dans les bâtiments. Nous y répondons en développant des produits et des solutions qui se doivent d’être connectées, simples, innovantes et durables. C’est ce que nous avons rédigé de façon explicite dans notre raison d’être, et c’est ce qui guide nos équipes, qu’elles soient en phase de recherche et développement ou de conception des produits. Le management doit veiller à ce que les offres qui remplissent tous ces critères soient développées en priorité. C’est d’ailleurs ce que nous avons clairement identifié comme étant les segments à forte croissance sur lesquels nous avons pris des engagements forts de croissance chiffrés. La culture de votre entreprise récompense le talent et l’innovation. Legrand doit également répondre aux besoins de connectivité,de modes de travail de plus en plus flexibles et de développement des activités en ligne.

Notre dossier de couverture de ce numéro est lié à l’intelligence artificielle : comment l’intégrer dans une entreprise et, plus largement, dans une société humaine ?

L’IA donnera sans doute la possibilité aux fonctions RH de rationaliser la façon dont ils exercent leur métier. Les informations traitées pourront ainsi être transformées en données utilisables simplement, facilitant la gestion des tâches. Le traitement de la donnée est un facteur clé dans les fonctions de ressources humaines. Cela permet de prendre de bonnes décisions. Quand nous analysons les données issues de nos enquêtes d’engagement (les deux dernières ont été effectuées en 2017 et en 2021), cela nous permet de mieux comprendre dans quel état d’esprit se trouvent les salariés et de faire évoluer si nécessaire notre stratégie RH et notre approche managériale. Pour en revenir à l’IA, cela ne devra en tout cas pas se faire au détriment de la qualité du relationnel qui existe entre les RH, le management et les équipes. Chez Legrand, nous entretenons des relations simples et transparentes… C’est sans doute l’une des raisons de la fidélité de nos équipes.

L’IA ne serait-elle pas une valeur ajoutée pour vos RH pour la détection des signaux faibles ou encore l’analyse des comportements ?

Je n’ai pas vu d’outils qui puissent remplacer le réseau interne et les relais d’opinion. C’est un sujet où il ne faut pas chercher à tout normer. Il faut laisser une marge de manoeuvre pour l’informel et le qualitatif. 

Votre raison d’être, « Améliorer les vies », contribue-t-elle à créer une marque employeur forte ?

Les collaborateurs qui nous rejoignent doivent adhérer à nos engagements et comprendre notre rôle dans la société. C’est une demande de plus en plus forte, de la part des plus jeunes notamment. De notre côté, nous souhaitons avoir un impact positif sur l’environnement et la société qui nous entoure. « Améliorer les vies », c’est une façon simple de dire que, partout où les gens évoluent à l’intérieur d’un bâtiment quel qu’il soit, les solutions Legrand installées vont permettre plus de confort, de sécurité et de bien-être. C’est plutôt valorisant pour un salarié de s’inscrire dans cette dynamique. Quand on explique notre raison d’être à des candidats, cela fait « tilt ! »…. C’est un vrai facteur d’attractivité, car on comprend le sens de notre activité !

Quand on est DG d’une entreprise du CAC à Paris et d’une entreprise du CAC en région : est-ce que l’on a une gestion et des considérations un peu différentes ?

Première chose : nous faisons 85 % de notre chiffre d’affaires hors de France. Que vous soyez basés à Paris, à Limoges ou ailleurs, il ne faut pas oublier le reste du monde. Toutefois, le côté province, même si le terme est un peu galvaudé, est associé à celui de quelques valeurs qui me tiennent à coeur et que Legrand incarne, comme la simplicité des relations : je déjeune avec les salariés au restaurant d’entreprise, je tutoie beaucoup de salariés, mon bureau est ouvert tout le temps. C’est le côté « terre à terre » et pratique : chez Legrand, nous sommes meilleurs à faire des choses, à agir, qu’à échafauder de grandes théories. Et puis il faut reconnaître que la vie à Limoges peut devenir un avantage concurrentiel : quand vous êtes en début de carrière, que vous avez de jeunes enfants, vivre en région, c’est parfois plus simple. Une ville moyenne comme Limoges est très attractive. C’est un atout, si toutes les conditions sont réunies…

Beaucoup de cadres de Legrand prennent le train Paris-Limoges toutes les semaines. Et l’hiver dernier, vous avez envoyé un courrier à la SNCF-Intercités pour souligner la dégradation du service. Était-ce le rôle du DG ?

Oui, j’étais dans mon rôle, car j’ai plus d’une centaine de salariés qui font ce trajet chaque semaine et je n’ai pas envie qu’ils passent plus de temps en déplacement qu’en famille ou qu’ils se lèvent à 4 heures du matin car certains trains sont supprimés. Dans cette missive, j’ai également rappelé que Legrand était la seule entreprise du CAC 40 à avoir maintenu son siège en dehors de la région parisienne avec Michelin, qui a son siège à Clermont-Ferrand. Je suis satisfait, car cette réaction de ma part a été bien accueillie, la SNCF nous a remis un train à une heure acceptable. Néanmoins, pour la qualité du service, il faudra attendre 2026 avant que cela s’améliore. De nouvelles rames doivent être livrées, et les travaux sur la ligne permettront la réduction des temps de parcours. Nous devrions y gagner.