Le collaborateur est mort. Vive le co-élaborateur

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Les salariés ne veulent plus seulement être « concernés » par les enjeux de leur organisation, ils veulent être « impliqués ».

Par Jean-Michel Philippon , dirigeant du cabinet INITIUM Coaching, auteur de "Désengagement au travail : quand le baby-foot ne suffit plus" Editions Gereso

Quand j’interviens en entreprise j’aime bien raconter la recette de l’œuf au bacon. C’est une recette très simple. Vous prenez une tranche de bacon que vous faites griller, puis vous cassez dessus un œuf qui va cuire. Servez chaud, c’est délicieux. Dans cette recette vous avez deux ingrédients principaux, le bacon et l’œuf. Le cochon d’un côté et la poule de l’autre n’ont pas participé à ce met de la même façon. La poule a été concernée par la procédure de la recette, quant au cochon, il a été impliqué dedans. Par contre mon bon et gentil chien Looping qui a reniflé la bonne odeur, lui, est complètement détaché de la procédure. Mais s’il lui prend la mauvaise idée de venir renifler dans mon assiette, il sera alors concerné, non pas par une procédure, mais par un processus, celui de ma main sur son museau de voleur. Cette petite recette nous illustre bien les différences entre procédure formelle et processus informel d’un côté, et de l’autre entre les niveaux d’impacts d’être détaché, concerné ou impliqué.

Attention aux niveaux d’impacts !

Dans la vie au travail nous sommes tous à des moments donnés concernés par une nouvelle procédure, ne serait-ce qu’administrative ou réglementaire. Cette procédure nous concerne car son application va modifier quelque chose que nous faisions d’une certaine façon pour la faire autrement. Cette nouvelle façon de travailler peut nous demander de nous impliquer dans sa propre création.

Le management actuel en entreprise ne prend pas suffisamment en compte cette particularité des niveaux d’impacts, et quand il en tient compte, il ne la gère pas toujours correctement. En effet de nombreuses procédures issues du cadre formel sont trop souvent construites sans que la ou les personnes impliquées ou concernées par cette procédure, participent à sa construction.

Il est remarquable de constater que dans l’élaboration d’une décision, l’exécution d’une action ou seulement dans la mise en réflexion, la prise en compte de la différence d’impact sur les individus est le plus souvent oubliée.

C’est par cet oubli que des personnes se voient confier des missions dont elles ne comprennent pas le sens, qu’elles doivent atteindre des objectifs pour servir d’autres objectifs pas très clairs, ou doivent utiliser des procédures de travail inadaptées alors qu’elles sont en capacité d’en trouver des meilleures.

C’est aussi par cet oubli, que, très souvent, des personnes analysent une situation qui ne les concerne pas, prennent des décisions qui ne les impactent pas, et font des projections sur un avenir sans enjeu pour elles.

Même si ces situations peuvent apparaître caricaturales, elles sont malheureusement bien réelles dans le quotidien de l’entreprise. Les effets néfastes de la non prise en compte des impacts sur les individus, entraînent un nombre phénoménal de dysfonctionnements dans le travail et de mal-être pour les personnes.

Favoriser la contribution de tous.

L’écosystème et ses instances dirigeantes ont du mal à regarder leurs décisions et leurs actions au travers de ce prisme de l’impact. Ce regard est pourtant essentiel pour garder un niveau d’engagement élevé de la part des acteurs. Favoriser la contribution, c’est tout d’abord comprendre les différents niveaux d’impact des procédures et ensuite permettre aux individus d’intervenir directement sur les éléments constitutifs et modifiables de la procédure.

Plus un écosystème engagera et accompagnera les personnes directement impliquées ou concernées par des procédures, plus ces personnes contribueront à leur efficience par une application juste, adaptée et équitable, et plus elles activeront leur contribution dans la vie au travail. Ainsi, cette contribution et cette implication dans l’espace formel auront des incidences extrêmement positives sur les processus engendrés dans l’espace informel. La contribution confère alors à l’acteur un statut de cocréateur, le faisant passer de simple collaborateur d’un système à un « co-élaborateur » du système tout entier.

Pour faire grandir l’engagement au travail il est indispensable de faire passer le salarié d’une posture d’exécutant d’une tâche ou d’une mission, à la posture de créateur de cette tâche et de cette mission.

Tous acteurs, tous co-élaborateurs.

Le salarié doit pouvoir se considérer comme impliqué et non plus seulement concerné et encore moins détaché.

C’est pour cela que je parle régulièrement d’acteurs de l’entreprise. Comme à l’image d’un acteur de théâtre ou de cinéma qui ne va pas seulement exécuter un rôle et suivre un texte, mais qui va l’interpréter avec sa personnalité pour mieux incarner le personnage. L’interprétation et l’incarnation sont ici des mots forts qui donnent vraiment du sens à la contribution.

L’interprétation est une façon personnelle de donner du sens à une action. L’interprétation est une manière propre et singulière d’extraire le sens d’une action pour en faire sienne. Cette appropriation par l’interprétation permet à l’acteur d’incarner l’action ou la mission et d’être impliqué. L’incarnation procure également du sens à la contribution. Incarner l’action c’est la mettre dans tout son être. Incarner une action c’est mettre de la congruence dans tous ses comportements, quel que soit l’espace de leur manifestation, formel ou informel. Cette appropriation et cette incarnation donnent naissance au « co-élaborateur ».