Laurent le Magnifique Héritier et growth entrepreneur du soft power des Médicis.

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Les Médicis n’ont pas seulement accumulé richesses et pouvoirs effectifs ; ils ont façonné et administré une entreprise d’influence par la séduction des arts et des idées. Sous leur impulsion, ils ont transformé Florence en capitale de la Renaissance, essaimant ce concept à travers toute l’Europe.

Par Anne Vermès et Yann Harlaut , du cabinet de conseil Traits d’Unions

Accompagner et éveiller son héritier au soft power

Depuis le milieu du XVe siècle, les Médicis ont réussi tant dans les affaires que dans l’exercice du pouvoir à Florence. Mais pour eux, tout reste fragile ; leurs prérogatives sont sans cesse attaquées.

Cosme de Médicis (1389-1464) décide de contrer les velléités adverses et d’investir sa récente fortune par un soft power artistique. Il inaugure ainsi le mécénat de sa dynastie. Il confie la réalisation des fresques du couvent San Marco à Fra Angelico et soutient le sculpteur Donatello. Il fonde avec Marsile Ficin l’Académie platonicienne de Florence. Cosme diffuse ainsi des idées humanistes et dispose d’une école de formation interne pour ses protégés et sa famille, dont ses fils et petits-fils.

Pierre de Médicis (1416-1469) poursuit la politique familiale. Collectionneur passionné, il est un grand bibliophile, considérant ses livres comme « un tas d’or ».

Troisième de la dynastie des riches Médicis, Laurent (1449-1492), futur il Magnifico, reçoit une éducation humaniste, soignée et moderne, liant théorie et pratique.

Encadré des meilleurs experts et esprits de son temps, il étudie la littérature, la rhétorique, le grec, le latin, la philosophie, la poésie, la musique et la danse. Cet enfant n’est pas totalement accaparé par ses études. Comme les garçons de son âge, Laurent joue, profite de la nature et galope sur les chemins de Toscane. Le soir, il assiste à des discussions philosophiques. Naturellement, tous les artistes qui fréquentent le palais Médicis captivent l’attention du jeune garçon.

Esprit éveillé, Laurent de Médicis déclame des discours construits dès l’âge de 10 ans et élabore des poèmes raffinés à 14 ans. Il est intelligent et redoutable aux échecs, affrontant son grand-père Cosme. Cette formation épanouissantemarque le futur souverain et homme d’affaires, qui n’aura de cesse de conserver à ses côtés un laboratoire perpétuelde ressourcement, d’inspirations et d’idées.

Au décès de son père Pierre Ier en 1469, Laurent prend les rênes de la banque Médicis et de la ville de Florence.

Il a alors 20 ans et mène ses affaires de manière réaliste, stratégique et parfois brutale. Pour conserver le pouvoir, Laurent de Médicis n’hésite pas à se débarrasser de ses opposants, marqué profondément par le complot de la famille rivale Pazzi qui a entraîné l’assassinat de son jeune frère.

La multinationale Médicis est spécialisée dans les activités de change et les transferts d’argent pour les commerçantset souverains. À son apogée, elle dispose de huit filiales à travers l’Europe, dont Bruges, Genève et Londres. Mettant à profit ce réseau, les Médicis assurent la vente de produits de luxe et de denrées italiennes. Il n’est pas seulement détenteur du soft power conçu par ses parents ; il l’incarne, devenant en grande partie cette figure décrite par la suite dans Le Prince de Machiavel, un despote éclairé.

Ériger le mécénat en arme politique

Laurent dispose d’une finesse d’esprit et d’un charme qui séduisent ses contemporains. Il a le goût des belles choses. Esthète et collectionneur avisé, il transforme sa passion en pouvoir et en business. Il développe une véritable politique de mécénat, recrutant, missionnant et s’entourant d’humanistes, de philosophes et d’artistes tels Verrocchio, Léonard de Vinci, Botticelli ou Michel-Ange. Artiste également, il est crédible et légitime dans ses choix esthétiques.

Par l’intermédiaire de ses filiales, il entreprend l’acquisition de tous les manuscrits antiques. Lorsqu’il ne peut acheter l’œuvre, il en fait réaliser une copie. L’ensemble est depuis conservé dans la fameuse bibliothèque Laurentienne. Il effectue des fouilles pour retrouver et acquérir des statues antiques. Enfin, il voue une passion pour les gemmes, les vases précieux, les camées intailles, les médailles et les monnaies. À sa mort, sa collection personnelle compte 1200 médailles d’or et d’argent.

Le souverain florentin confère également à son action une responsabilité sociale et culturelle.

Les commandes publiques stimulent l’activité économique de la cité. Il assure le développement de l’atelier des frères Pollaiuolo et de celui d’Andrea del Verrocchio, formateur de Botticelli et Léonard de Vinci. Ces entreprises sont polyvalentes, capables de réaliser des œuvres monumentales en pierres ou en bronze, mais aussi de fournir des étendards et des masques de carnaval pour les fêtes municipales.

Ce mécénat direct est rentable pour Florence et son dirigeant. C’est un investissement de communication. Avec 50 000 habitants, Florence n’est qu’une ville secondaire et la banque Médicis fait face à de nombreuses difficultés financières. Par ses largesses, Laurent le Magnifique s’achète un crédit sur la scène internationale, inspirant confiance, respectabilité et puissance.

Mécéner pour dominer l’Europe

Laurent le Magnifique est un influenceur, recommandant ses artistes à d’autres. Il domine le commerce et la diplomatie européenne à l’égal des rois et des papes. Son mécénat devient parfois une arme, du moins un moyen de pression. Ainsi, lorsqu’éclate la guerre de Ferrare en 1482, le pape devient l’ennemi de Florence. Les artistes florentins sont rappelés en pleine décoration de la chapelle Sixtine, œuvre majeure du pontificat de Sixte IV.

Face aux autres dirigeants européens où la noblesse du sang prime, les Médicis développent un autre leadership, celui de l’image. Ils incarnent la splendeur de Florence et une formidable ascension sociale de toute la famille, d’humble origine. Face au cynisme de certaines décisions politiques, le mécénat, notamment à destination des établissements religieux, permet de redorer le blason des Médicis.

Laurent le Magnifique a structuré le visage urbain de Florence et de ses alentours.

Il s’est créé une réputation durable. Avec lui, l’artiste devient un personnage essentiel à la cour. Le mécénat devient un vecteur indispensable de communication, une trace laissée dans l’Histoire. Les œuvres des protégés des Médicisconstituent aujourd’hui des pièces maîtresses et inestimables des plus grands musées du monde.

À la suite de Laurent le Magnifique, outre la mainmise sur Florence et le duché de Toscane, la famille Médiciscomptera deux reines de France et quatre papes, superbes palmarès pour de simples « roturiers ».