La théorie de l’ours
Face au danger, le cerveau primitif, programmé pour assurer la survie, prend instantanément les commandes. Voici, en pratique, comment l’apprivoiser.
J’adore la marche en forêt. Les régions sauvages, leurs odeurs, leurs couleurs, leurs chants, leur pouvoir de me rappeler que je n’ai besoin de rien pour me sentir vivant. Mais, depuis mes toutes premières randonnées, je crains la rencontre d’un ours. Et, dans les sentiers où je m’aventure, cette peur est justifiée.
Or, loin de m’amener à restreindre mes promenades, cette peur m’est utile. Elle m’incite, en préparation de chaque départ, à visiter sur Internet, les “sites de rencontres avec ours”. Rien à voir avec la quête de l’âme sœur, bien sûr. Sans mon “amie” la peur, jamais je ne me préparerais adéquatement. Jamais je n’apprendrais que la pire réaction devant la bête serait de céder à la panique. Il en est probablement de même devant l’âme sœur !
J’ai finalement rencontré un ours et bien d’autres depuis. Lorsqu’on en voit un, à quelques mètres devant soi, debout sur ses pattes arrière, en train de déraciner un arbre mort, on ne se sent ni fort ni brave. On a beau avoir lu qu’il ne faut pas paniquer, on a tendance à l’oublier quand les branches craquent sous les coups de griffes… On se demande même comment quelqu’un a pu écrire qu’il ne fallait pas paniquer.
Il est extrêmement difficile, dans de telles circonstances, de garder son calme, de demeurer lucide, de maîtriser son esprit. Le cerveau primitif – celui qui est programmé pour assurer la survie – prend instantanément les commandes, autant celles des émotions que celles des comportements. Il prépare le corps à lutter ou à fuir. Parfois, il lui commande de se figer.
En effet, certaines bêtes, menacées, se figent pour se confondre avec le paysage. Le plus grand défi, devant l’ours, est de conserver son intelligence. La peur est utile, la panique : jamais !
Une bête d’un autre genre s’est récemment dressée devant nous. Tout en étant invisible, elle est hypervisible. En fait, elle est partout. Surtout dans les symboles : dans les masques qui recouvrent nos visages, dans les bouteilles de désinfectant à toutes les portes, dans les chiffres funèbres qui apparaissent sur nos écrans, dans la distance entre nous ; partout ! Et la bête ne s’en va pas. Elle s’est installée. Une rencontre avec un ours dure rarement plus de quelques minutes, la rencontre avec le virus s’éternise depuis plusieurs mois.
Serge Marquis vous répond
Comment éviter la panique ?
En ramenant l’attention dans le présent ! La panique apparaît quand le cerveau fabrique un futur rempli de scénarios catastrophes. Bien sûr, certains de ces scénarios s’avéreront justes : des personnes vont perdre leur emploi et certaines entreprises vont fermer leurs portes, mais, à chaque fois, c’est dans le présent que les solutions seront conçues. Et l’imagination peut fabriquer autant de tragédies imaginaires que de pistes d’action concrètes. En ramenant l’attention dans le présent, on met l’imagination au service du vivant.
Pas facile, c’est vrai, car le cerveau est conditionné à diriger l’attention sur ce qu’il perçoit comme une menace – il a eu à le faire pendant des millions d’années pour assurer la survie –, or c’est parce qu’il a fini par placer l’attention sur des pistes d’action que nous avons survécu. Dans le contexte actuel, maintenir l’attention dans le présent devient plus difficile que jamais ! L’esprit est quotidiennement bombardé de titres terrifiants : “De nouvelles mises à pied chez…”, “Autre augmentation record du nombre de chômeurs…”, “Après cinquante années d’existence, l’entreprise X se déclare en faillite…” La vigilance est constamment de mise pour faire la distinction entre le conditionnel : “Il se pourrait que…” et la réalité : “Quoi faire dès maintenant ?”, “Où est notre pouvoir ?”, “Quel plan peut-on mettre en place ?”
Il faut sans cesse se rappeler que le cerveau n’entend pas le conditionnel, il le transforme instantanément en catastrophe. Seule une conscience aiguisée permet de ne pas se paralyser et de continuer d’avancer. C’est Einstein qui disait : “La vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre.”
Mais comment ramène-t-on l’attention dans le présent ?
Bien que ce soit malaisé quand on est exposé à un danger véritable, on doit se servir du réel en plaçant l’attention sur n’importe quelle perception sensorielle concrète (le souffle, ce qu’on entend, voit, sent…) afin de débrancher une imagination débridée qui colle aux menaces ; c’est parfois un passage neurologique obligé vers l’inventaire des pistes d’action.
Et la solidarité ? N’a-t-on pas tendance à penser d’abord à soi en situation de menace ?
Nous oublions trop souvent que ce n’est pas l’individualisme qui a permis à l’espèce humaine de traverser les pires catastrophes mais le collectif, la communauté, la solidarité. Nous n’aurions jamais survécu aux inondations, aux volcans, aux sécheresses, aux épidémies s’il n’y avait pas eu l’entraide ; impossible !
Voir aussi : Les secrets du cerveau social