« La créativité que l’on peut appliquer dans une décision n’est limitée que par la conformité à nos valeurs et notre responsabilité sociale. »

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Le DRH est confronté au défi de devoir maintenir le niveau d’excellence du corps social, dans un environnement en évolution permanente. Ce défi d’adaptation implique aussi le concept de « créativité ». Rencontre avec Guillaume Saincaize, Directeur des Ressources Humaines de Eiffage Route.

Par Anne-Cécile Huprelle

Aujourd’hui la créativité n’est plus réservée qu’aux professionnels de l’innovation… Trouver des idées sur de nouvelles manières de fonctionner fait partie intégrante des missions du manager… à commencer par les équipes RH. Partagez-vous cette vision ? 

La créativité fait partie de la nature humaine mais ne s’exprime pas de la même manière pour tous. Tout le monde n’a pas le même degré, la même intensité, ni la même manière de la vivre. L’image des managers cloisonnés dans des process de gestion est une vision obsolète et, aujourd’hui, nous encourageons tous les collaborateurs à faire preuve d’audace et de lucidité en échos aux valeurs d’Eiffage. Pour dépasser les idées préconçues et les méthodes trop normées, avoir cet esprit innovant gage de performance pour l’entreprise, il faut voir plus loin et créer les bonnes conditions à la créativité. Cela demande une certaine part de courage.

 

La créativité du DRH : comment s’exprime-t-elle et dans quelles circonstances ?  

Potentiellement dans toutes. Il y a des domaines où la créativité est plus naturelle comme la communication RH et le développement des Ressources Humaines. Dans certains domaines plus spécifiques, qui peuvent paraître plus contraints, tels que le droit social ou la rémunération, sortir du cadre et trouver des solutions innovantes pour apporter de la créativité est a priori plus difficile mais nécessaire. En sortant du cadre, on apporte de la valeur et le collaborateur ressent un sentiment de fierté, celui d’avoir dépassé ses propres objectifs, d’avoir transcendé la problématique. C’est ce qui donne une motivation supplémentaire, une autosatisfaction, et donc de l’engagement et de la performance. La créativité est d’autant plus gratifiante lorsqu’elle intervient dans un domaine où on l’attend moins.

 

Faire preuve de créativité en RH peut garantir la responsabilisation, l’engagement du collaborateur dans la mise en œuvre des solutions. Or, tout le monde n’a pas les mêmes aptitudes… 

La créativité est une compétence à part entière que l’on retrouve dans nombre de métiers et que nous évaluons au cours des entretiens individuels annuels. Comme pour toute compétence, chacun arrive avec son niveau. Elle est plus naturelle pour certaines personnes que pour d’autres. Néanmoins, on peut agir sur deux leviers : faire prendre conscience que la créativité est une attente de l’entreprise, un objectif pour chacun et donner les moyens nécessaires pour relever le niveau de compétence dans ce domaine. Pour développer la créativité, nous travaillons notamment par le biais des formations. Le groupe Eiffage a créé son propre centre de formation, l’Université Eiffage, où la très grande majorité des modules proposés sont assurés par près d’une centaine de formateurs internes, c’est-à-dire des salariés exerçant une activité de formation en plus de leur métier. C’est un moyen pour eux de développer leur créativité car cet exercice les amène à prendre du recul sur l’approche de leur savoir-faire et sa valorisation dans un parcours pédagogique. En se demandant ce qu’ils peuvent apprendre aux autres, les formateurs sont indirectement amenés à réfléchir sur leurs acquis et à se remettre en question sur ce qu’ils pourraient faire mieux ou différemment. Je suis moi-même formateur sur le droit et les relations sociales, et cela me permet de confronter les points de vue et de faire émerger des solutions innovantes.

 

Certaines situations critiques contraignent à la créativité… Estimez-vous être plus créatif aujourd’hui qu’avant la crise sanitaire ?  

Je ne pense pas que la situation sanitaire, que nous vivons depuis maintenant deux ans, nous ait amené à être plus créatif qu’avant car nous avions déjà cet ambition, mais elle nous a effectivement donné l’opportunité de mettre en œuvre cette compétence au quotidien, notamment pour maintenir le lien entre le collaborateur et l’entreprise dans un moment où la contrainte de distance nous éloignait.


Disposez-vous de méthodes, de bonnes pratiques, issues de votre expérience de l’innovation ?  

La première étape est d’avoir un constat objectif et partagé, de laisser tous les points de vue s’exprimer, et de travailler collectivement avec les personnalités les plus diverses possibles. C’est pour cette raison qu’en RH, la diversité est une composante fondamentale. De cette dernière, nait la créativité stimulée. Ensuite, il est nécessaire d’arbitrer en fonction de trois critères : la faisabilité, l’efficacité et la conformité à nos valeurs ainsi qu’à celle de la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. C’est un axe stratégique important pour nous pour les prochaines années. Il peut y avoir de bonnes décisions qui, d’un point de vue économique, financier, technique, sont très bonnes, mais qui nous mettraient en contradiction par rapport à nos valeurs. Les RH ont par ailleurs un rôle essentiel à jouer dans la conduite d’un management de l’écoute. A nous de maintenir les conditions pour que chaque employé puisse exposer son ressenti. Cela relève d’un management de bienveillance indispensable pour toute entreprise.


Les spécialistes en neurosciences s’accordent à dire que le processus créatif est issu de la « divergence » et de la « convergence» mobilisant le cerveau droit (intuitif, imaginatif, projectif vers le futur…) et le cerveau gauche (analytique, précis, orienté résultat immédiat…). Le monde de l’entreprise utilise beaucoup son cerveau gauche. Comment équilibrer les choses ?  

C’est une affaire de priorité : il faut savoir gérer les priorités de long terme et celles de court terme, ainsi que les priorités d’analyse et celles de proposition. De plus en plus, nous « poussons » les collaborateurs à s’impliquer et être force de proposition. Il y a quelques années, Benoît de Ruffray –Président-directeur général du Groupe- a mis en place une start-box digitale par le biais de laquelle l’ensemble des collaborateurs du Groupe sont régulièrement sollicités sur des appels à idées. Un des thèmes actuellement en cours porte sur la sensibilisation au traitement des déchets et leur potentiel de réemploi. Le titre : « Montrer que ceci n’est pas un déchet ! ». Nous encourageons les collaborateurs à créer quelque chose à partir de matériaux qui ne sont plus utilisés. C’est une sorte de concours avec jury, et les meilleures idées sont mises en œuvre, parfois avec certains de nos partenaires à même de les faire vivre.

L’axe majeur de notre démarche RH repose sur l’implication. Demander l’avis des salariés d’Eiffage, c’est précisément leur dire « vous comptez dans l’organisation », « vous avez un regard que nous n’avons pas », « vous avez un devoir de participer aux décisions qui vont intervenir ». Une fois que l’on se sent acteur de la décision, la façon de travailler n’est plus la même. Je crois que nous allons bien au-delà de la Qualité de Vie au Travail et cultivons le sentiment d’appartenance. Cela répond aux besoins des entreprises en matière d’attractivité et de fidélisation des collaborateurs. Nous encourageons par la même la prise de risque et instillons dans les mentalités que des erreurs sont possibles.

 

Sentez-vous un marché du travail en tension ?

Bien sûr, il y a d’une part l’effet « zapping » d’une génération qui ne voit plus le travail de la même manière et, d’autre part, une difficulté à recruter pour des postes qui suscitent peu de vocation de prime abord. Il faut donc chercher des talents mais surtout retenir ceux qui pourraient vouloir partir. La « clé » est justement de cultiver le sentiment d’appartenance. Les collaborateurs se posent énormément de questions sur le sens de leur travail. Nous avons le devoir de travailler sur cette problématique, et c’est le sens de la démarche « manager par les valeurs : bienveillance et exigence » que nous déployons progressivement auprès de l’ensemble de nos managers. Plus de 300 managers d’Eiffage Route ont déjà été formés à cette démarche qui contribue à relever le niveau d’engagement et notre attractivité.

 

Dans cet esprit d’acquisition et de fidélisation des talents, les entreprises travaillent sur leur marque employeur, à travers l’amélioration de l’Expérience Collaborateur.

La marque employeur contribue largement à augmenter le sentiment d’appartenance à l’entreprise, et aussi à voir le sens de son travail au-delà du poste. Le sentiment de fierté est un moteur de motivation et d’engagement. Chez Eiffage Route comme dans tout le Groupe Eiffage, nous axons beaucoup notre attention sur le respect des engagements pris tant d’un point de vue social qu’environnemental. Nous devons avoir une cohérence entre le projet que nous mettons en avant et celui effectivement mis en œuvre. Les jeunes générations sont sensibles à la réalité de  « promesse employeur » au-delà de simples slogans et soucieuses d’adhérer aux projets de l’entreprise.  Mieux vaut quelqu’un qui en dit moins et qui en fait plus que l’inverse. C’est clairement ce que nous valorisons dans nos campagnes de recrutement à travers, par exemple, des vidéos métiers diffusées sur les réseaux sociaux. Des collaborateurs volontaires sont filmés en situation de travail et présentent leurs missions de manière naturelle et sans filtre. Et ça fonctionne !

 

La créativité est un état d’esprit. Est-ce une compétence à part entière ?  

Comme évoqué précédemment, la créativité est une véritable compétence. Elle fait d’ailleurs partie du référentiel compétences au sein d’Eiffage et se définit comme « la capacité à concevoir des solutions innovantes dans le but d’améliorer l’existant ». Nous avons une cartographie métiers qui répertorie les missions et compétences associées, qui sont évaluées lors des entretiens individuels. Il est important de ne pas associer cette compétence qu’aux métiers ou sa mise en œuvre est plus évidente et naturelle. Dans de nombreux domaines a priori contraints, comme à nouveau le domaine juridique, malgré les apparences, on peut être créatif. En associant cette compétence aux emplois, nous faisons passer le message que nous demandons à nos collaborateurs d’innover dans tous les domaines.

Avez-vous entendu parler du « recrutement affinitaire » ? Pour améliorer la qualité des recrutements, certains DRH cherchent à cibler des candidats compatibles avec la culture de l’entreprise.  

Plus que jamais, le collectif est un facteur de performance de l’entreprise. Pour qu’il fonctionne, il est nécessaire de partager un certain nombre d’objectifs communs et une même vision. Mais doit-on construire une culture commune en ne recrutant que des gens qui la partagent déjà ? Il est bien sûr pertinent de tester l’adhésion aux valeurs lors des recrutements à travers des mises en situation, des gamings, des parcours d’intégration… Cependant cette adhésion aux valeurs et à la culture de l’entreprise ne doit pas être rédhibitoire. Cela reste une aide à la décision. Il est inconcevable de recruter ou écarter un candidat sur ces seuls critères. Le risque du recrutement affinitaire serait « l’endogamie ». Ce n‘est donc pas une fin en soi car ce serait davantage un danger qu’une opportunité.


Avez-vous des outils de présélection automatique ?  

Actuellement, nous n’utilisons pas d’outils de présélection automatique ou basés sur l’intelligence artificielle. Seul le site Carrières d’Eiffage    (https://jobs.eiffage.com/Eiffage) utilise des outils comme « CV catcheur » pour gérer les arrivées de CV en masse. Dans nos processus de recrutement, nous réalisons des tests de personnalité mais ne faisons pas de présélection automatique. La forme de présélection qui fonctionne le mieux dans notre métier demeure l’apprentissage. Il permet une fidélisation très en amont.. Nous avons plus de 500 apprentis par an sur le périmètre d’Eiffage Route, ce qui est assez conséquent. C’est une présélection par la pratique !

 

Proposez-vous des parcours personnalisés ?  

Pour chaque catégorie d’emploi, nous sommes en train de construire des parcours de formations sur trois temps : prise de poste, maîtrise du poste, expertise dans le poste. Des thèmes sont définis par métier et dessinent un parcours de formation structuré autour de 3 axes que sont la technique, la prévention et le développement personnel. Cela permet de s’assurer que les collaborateurs disposent d’un socle commun de connaissances et cela donne de la visibilité au collaborateur.