Et si redécouvrir le geste était une réponse contemporaine à l’épuisement mental ?
Le travail sans les mains équivaut à mettre son âme en veilleuse (et taper sur son clavier n’est pas travailler avec les mains). Les arts soignent – le sujet est l’objet de nombreuses recherches probantes dans le monde.
La puissance de l’humain réside dans l’intégration de la tête, du cœur et des mains. La main fait partie intégrante de l’homme. Je clos une exposition sur Lascaux, qui me fascine depuis longtemps, pour le côté esthétique et la maîtrise parfaite du geste, des couleurs, de la composition. La main, « outil des outils » disait Aristote. Or, dans une échelle de temps moderne ridicule (quelques dizaines d’années) comparée au temps d’apprentissage de l’usage de la main (qui nous a pris plusieurs milliers d’années), nous, humains, avons désappris le geste. Nos systèmes d’éducation ont renforcé significativement le poids de l’enseignement vers les sujets de tête, déconnectant progressivement le lien entre la tête, le cœur et les mains. Bien entendu, certaines personnes continuent de pratiquer à côté. L’enseignement a suivi la tendance de la plupart des économies à survaloriser les métiers de tête (qui est l’œuf, qui est la poule ?), ce qui entraîne une désaffection massive de nos jeunes pour l’apprentissage manuel. L’un des enjeux majeurs des deux cents dernières années aété de remplacer l’Homme par la machine, à plus ou moins bon escient.
Résultat : nous manquons cruellement de compétences manuelles, ce qui met à risque nos équilibres sociétaux tout en créant des problèmes de compétitivité pour notre pays. Par ailleurs, à l’heure du digital, nous nous sommes coupés de pratiques qui nous permettraient de déconnecter et de prendre du recul face à la surabondance d’informations toutes placées au même niveau. Enfin, nous avons tué le créatif en chacun de nous, alors que cette partie de l’humain est si importante pour nous adapter aux multiples crises qui constituent notre quotidien.
Il est grand temps de remuscler nos mains !
Créer pour guérir : la main comme lieu de réparation
En entreprise, la surcharge mentale tend à devenir la norme. Emails, réunions, deadlines, réseaux sociaux, intelligence artificielle, indicateurs de performance : notre cerveau est sollicité en permanence. Nous avons développé des capacités d’analyse, d’adaptation, de réactivité. Mais à quel prix ? Le mental surchauffe, se déconnecte encore plus du cœur et du corps.
La pratique manuelle est un acte de réparation silencieuse. Les recherches en psychologie positive montrent que l’état de flow — cet équilibre entre concentration, plaisir et engagement — est fréquemment atteint lors d’activités manuelles : peinture, cuisine, tricot, sculpture…
La pleine conscience (à la manière de Jon Kabat-Zinn) s’incarne dans ces gestes simples et répétitifs. Le cortisol diminue, la dopamine augmente, le système nerveux se régule. L’art-thérapie s’appuie sur ces mécanismes pour accompagner les troubles anxieux et dépressifs.
Faire avec ses mains, c’est sortir du mental et réintégrer son cœur et son corps. C’est créer un espace où l’on n’est pas productif, mais présent. Pas performant, mais vivant. C’est redonner du sens au temps.
Réconcilier le faire et le diriger
Nos mains pensent. Susan Goldin-Meadow, dans son ouvrage Thinking with Your Hands, démontre que les gestes précèdent parfois la parole, et qu’ils révèlent des pensées implicites que notre cerveau verbal n’a pas encore structurées. Elles débloquent nos intuitions, favorisent la compréhension. Là où le quotidien professionnel exige des réponses rapides, la main enseigne la lenteur. Là où le management valorise la performance, la main valorise le processus. Ces compétences douces — patience, présence, écoute — redeviennent essentielles dans un monde en mutation. Certains dirigeants que je connais ont retrouvé de la clarté en jardinant. D’autres en cuisinant, en sculptant, en bricolant. Leur posture a changé : plus posée, plus incarnée. Comme si le geste manuel déteignait sur le geste managérial.
Invitation : travaillez avec vos mains pour retrouver la texture du monde
Nos mains sont fatiguées de ne toucher que des claviers. Elles rêvent d’outils, de terre, de papier, de bois. En les réengageant, nous ne régressons pas : nous réintégrons une part de notre humanité. Revenir à une pratique manuelle et créative, c’est une forme de soin, de résistance, de recentrage. C’est un moyen de remettre du vivant dans l’entreprise. À l’heure où tout s’accélère, ralentir avec les mains est un impératif.
Ce sujet est très personnel pour moi et je le teste quasi systématiquement avec les personnes autour de moi. Combien de fois entends-je : « je ne suis pas créatif » « je ne sais rien faire de mes mains », « j’étais nulle au piano », « je ne sais pas cuisiner ». De telles croyances limitantes proviennent souvent de l’enfance et d’un retour négatif marquant sur un dessin, une création spontanée. Dépassez là de toute urgence. Nous sommes tous créatifs et doués de nos mains. Il suffit d’expérimenter et de trouver la clé de cette pratique manuelle personnelle qui vous permettra un ancrage et un centrage au service de votre sérénité.
Alors, à vous qui dirigez, qui pensez, qui portez : offrez-vous une heure. Une heure pour modeler, peindre, assembler, coudre, graver. Non pas pour réussir. Mais pour être. Pour retrouver ce fil, invisible et solide, qui passe par les mains et relie au cœur.