David Yana, Directeur des fonctions expertes RH de CHANEL

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La formation professionnelle reste un outil phare de transformation de l’entreprise. Pour le Directeur des fonctions expertes RH de CHANEL se contenter d’offrir des catalogues de formation n’est plus suffisant. Ce qui s’apparentait, autrefois, à un avantage salarié, est aujourd’hui un accompagnement fort,  porteur de sens et de considération pour les collaborateurs.  

Par Anne-Cécile Huprelle

Pour commencer, quels sont, selon vous, les défis prioritaires du métier de DRH ?  

Le métier de DRH a changé même si les fonctions régaliennes demeurent. La crise sanitaire a remis au centre des préoccupations les missions de sécurité des salariés et de gestion de crise qui prend désormais des formes multiples comme on peut le constater avec le contexte géopolitique et la reprise de l’inflation. La reprise et la transformation des modes de travail ont aussi remis l’accent sur l’engagement des collaborateurs et la cohésion des organisations. On tâtonne encore en la matière, peu d’organisations pouvant prétendre avoir trouvé la solution définitive à ce sujet. Enfin la pénurie des talents est aujourd’hui un sujet pour toutes les organisations RH qui questionne les processus de recrutement, la rétention et les carrières longues. Ces dernières années ont été très riches pour la fonction RH, c’est un métier où l’on ne s’ennuie pas !

 

La formation professionnelle fait partie de vos appétences et expertises. Quelle place a-t-elle dans l’exercice de votre profession ?  

C’est un des outils de transformation majeur du DRH même si elle agit plus sur le temps long du développement des compétences. C’est aussi une partie visible de l’offre de services que nous proposons aux collaborateurs. Elle intervient dans la perception générale qu’ont les collaborateurs des avantages offerts par leur environnement de travail. Il ne faut donc vraiment pas sous-estimer son impact.

De plus, elle obéit à un objectif double : faire évoluer et améliorer les compétences de nos salariés et susciter de l’engagement via des moments de rencontre, j’oserais dire de respiration entre collaborateurs, ce qui est encore plus vrai dans une période de généralisation du télétravail.

 

Aujourd’hui on ne peut plus se contenter d’offrir des catalogues de formation et d’elearning sans un accompagnement fort et porteur de sens.

 

La formation est-elle une solution aux problèmes de recrutement, à la rétention des talents ?  

La formation ne peut pas tout résoudre mais elle peut contribuer à résoudre certains problèmes. Si, chaque année en France, on manque de 10.000 ingénieurs que notre système éducatif ne produit pas, la réponse est en grande partie entre les mains des pouvoirs publics. Pour autant, les entreprises peuvent agir. D’une part, à  travers les partenariats avec les écoles et les universités (chaires, apprentissage), d’autre part, avec les formations spécifiques telles que celles que l’on peut voir en data science par exemple, qui permettent à des profils non qualifiés d’acquérir des compétences très recherchées. Pour la rétention des talents, il est parfois utile d’être capable d’offrir des parcours adaptés à des personnes souhaitant, à terme, une mobilité. Tout n’est pas forcément à la main de l’employeur mais l’aménagement d’un cursus dans le cadre d’une mobilité est un bon outil de rétention.

Aujourd’hui, tout le monde est conscient que nous sommes dans une économie de la connaissance. Les compétences évoluent avec les nouvelles technologies, de nouveaux métiers apparaissent, d’autres évoluent ou disparaissent. L’employabilité est un critère majeur de choix d’un poste ou d’une entreprise. Si l’on veut recruter et retenir des talents, il est indispensable de penser « développement » et « élargissement des compétences » par l’expérience bien sûr mais aussi par la formation.

 

Sur le plan social, la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018 va-t-elle dans le bon sens ? La formation est-elle un outil de modernisation sociale ?  

Cette Loi a permis de booster l’apprentissage et on peut voir avec le temps comme les profils des jeunes diplômés se sont transformés en une dizaine d’année. On a aujourd’hui des jeunes dont l’expérience professionnelle est beaucoup plus large et la maturité par rapport au travail est sans commune mesure avec ce que nous observions jusqu’à présent. Concernant le CPF (Compte Professionnel de Formation), la totale liberté laissée aux salariés est une bonne idée mais a ouvert à des dérives et des arnaques connues telles que le démarchage téléphonique systématique par des pseudo agences de formation qui ne délivrent pas aucun contenu pertinent. Quel bilan en tire-t-on aujourd’hui ? Je ne suis pas un dirigiste dans l’âme mais on a pêché par excès de confiance. Les bénéficiaires du CPF méritaient mieux en termes d’orientation et de pédagogie.

 

Le concept de « formation tout au long de la vie » est-il cohérent avec une carrière longue en entreprise ?  

Non seulement il est cohérent mais il en est un des piliers. Le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites nous projette sur une évolution à la hausse du nombre de retraités par rapport aux actifs avec en parallèle une augmentation de l’espérance de vie et de vie active. Le recul de l’âge légal de la retraite est de ce fait très probable. Il faut donc se préparer à des carrières plus longues que celles que nous avons connues jusqu’ici. Il y a beaucoup à faire pour travailler l’employabilité des plus de 55 ans qui souffrent d’un taux de chômage plus important que le reste de la population. Cela passe par un aménagement des postes et du temps de travail comme nous avons pu le faire chez CHANEL mais c’est aussi plus largement lutter contre les préjugés et inciter à un recrutement plus ouvert à ces populations. Au niveau de la formation, certains champs méritent d’être explorés et pas seulement en matière de hard skills. Certes on a progressé sur les statuts de salariés aidants mais on propose encore trop peu de dispositifs permettant aux salariés de capitaliser sur leurs acquis pour se projeter dans de nouveaux métiers et encore moins de formations diplômantes. On doit aussi assortir ces offres d’accompagnement individuel type « inplacement » pour aider à la réorientation quand le besoin s’en fait sentir. Le changement de carrière ou la mobilité ne doivent pas être réservés aux populations jeunes.

 

L’entreprise se veut, de plus en plus, « apprenante » ou « capacitante » : qu’est-ce que cela signifie pour vous ?  

Le concept d’entreprise apprenante n’est pas nouveau en soi. La fameuse courbe d’apprentissage ou learning curve du monde industriel en est à l’origine. Il est toutefois difficile de l’appliquer directement au monde tertiaire.

Les trois moments que sont le « faire », l’ « apprendre à mieux faire » et le « faire mieux » s’entendent très bien quand on parle de tâches répétitives, qu’il s’agisse de tâches manuelles ou intellectuelles. Mais comment les applique-t-on à des métiers qui ne reposent pas sur la répétition de tâches comme les processus créatifs par exemple ?  Nous avons beaucoup réfléchi chez CHANEL et nous avons pris le parti de développer nos collaborateurs autour des concepts d’intelligence collective. Nous les formons à ces méthodes afin qu’ils puissent, par eux-mêmes, trouver les structures et les moyens de rendre leurs organisations apprenantes. Cela a de fortes implications sur le métier de formateur car on ne peut pas se limiter à former. Il est important d’expérimenter avec les collaborateurs les concepts et de plus en plus de faciliter les sessions. C’est une transformation du métier de formateur au sein des entreprises.

Quelles bonnes pratiques avez-vous adopté chez CHANEL ?  

Durant mon parcours, j’avais pu observer chez Deloitte que les formations devenaient de plus en plus expériencielles, que l’on faisait appel à des concepts de gamification ou de formation hybrides. Plus tard chez Google, j’ai découvert le « crowd training », un concept très innovant à l’époque et très lié au domaine de la Tech. Il s’agissait de laisser entièrement libres les salariés dans la conception de leurs propres formations. Par exemple, beaucoup de développeurs expérimentaient de nouvelles plateformes techniques, parfois ils n’étaient que deux ou trois à en maîtriser l’utilisation. Et ils développaient pour des formations en présentiel et parfois des micro-formations sous forme de tuto pour que tout le monde puisse en profiter. Aujourd’hui chez CHANEL nous sommes en train de fusionner ces approches même si nous gardons une partie importante de formations en présentiel. Nous avons ainsi développé un socle très orienté expérience utilisateur, une sorte d’Instagram de la formation, très simple à utiliser. Les formations sont organisées par communauté que l’on gère presque comme on gère des communautés sur les réseaux sociaux à savoir avec un objectif d’animation et d’engagement. En parallèle nos collaborateurs ont la possibilité de créer des formations en plus de celles que nous offrons et reçoivent une aide de la part de nos Directions de la formation pour élaborer des contenus pédagogiques et attrayants.  C’est une vraie transformation du métier de formateur qui s’opère désormais et montre bien la vitalité du sujet dans nos entreprises.

 

La Marque employeur est, aujourd’hui et plus que jamais, essentielle pour attirer les talents. Quel discours tenez-vous pour définir cette Marque ?  

Nous préférons parler de posture employeur qui est définie chez nous par « Putting Human First ». Notre Maison est toute entière tournée vers la création et par conséquent nous aimons à ce que nos collaborateurs puissent cultiver leur singularité. Les talents qui nous rejoignent savent qu’ils vont trouver chez nous un environnement bienveillant où ils vont pouvoir se réaliser.