Capitaliser sur les collaborateurs : L’employabilité maximisée
La notion d’employabilité porte un dilemme : jusqu’où l’entreprise doit-elle jouer cette carte ? A partir de quel moment se trouve-t-elle prise dans un paradoxe : former pour « performer », encourager les initiatives individuelles, au risque de voir partir ses meilleurs éléments. Les entreprises qui misent sur l’employabilité proposent même, parfois de l’accompagnement vers la sortie.
« Employabilité », de quoi parle-t-on ?
Pour l’OIT (Organisation Internationale du Travail) c’est : « l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle ».
Le concept est né dans les années 70 avec la montée du chômage et la nécessité de refonte des politiques en matière de création et de sauvegarde de l’emploi en France. Un levier à actionner par les salariés pour se maintenir en emploi comme par les entreprises, pour pérenniser leur activité et développer leur performance.
Historiquement popularisé dans les années 1990, notamment par un article de la Harvard Business Review, ce terme fait l’objet d’un certain nombre de recherches en sciences de gestion et même à des thèses doctorales[1].
L’employabilité figure aussi parmi les obligations légales des entreprises qui doivent (art. L6321-1 du Code du travail) « assurer l’adaptation de leurs salariés à leur poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. »
Elle est liée à la gestion des compétences et des talents, aux notions de parcours professionnel, de gestion de carrière et de management des « potentiels », ainsi qu’avec la GPEC (point de vue plus macro).
Et elle est de la responsabilité des trois grandes parties prenantes du monde du travail :
- L’entreprise : faire coïncider les trajectoires individuelles avec les besoins organisationnels ;
- L’individu : s’efforcer de rester « employable » dans un contexte d’évolutions à la fois technologiques ou de marchés ;
- L’Etat : faire se rencontrer offre et recherche d’emplois.
Parler d’employabilité est devenu une manière plus moderne (mais un peu fourre-tout ?) de parler à la fois de développement des personnes (formation, apprentissage…), de gestion des compétences et de mobilité interne ou externe.
Côté entreprise : un facteur de performance et d’attractivité
Des articles de recherche montrent l’importance de développer l’employabilité pour stimuler les mobilités internes horizontales, dans un contexte où les évolutions verticales (hiérarchiques) sont moins encouragées (organisations « plates », diminution du nombre de strates managériales, etc.).
Liée à la gestion des compétences, à la formation et au développement des personnes, l’employabilité constitue un facteur d’attractivité ou de rétention des talents.
Quel que soit le secteur, beaucoup d’entreprises offrent des « perspectives de carrières », proposent des parcours de formation reconnus, ou constituant des « cartes de visite » monnayables ensuite sur le marché. Expérience, réputation, mobilité et développement de ses compétences, des facteurs qui contribuent à renforcer l’employabilité. Pour 8 jeunes diplômés sur 10, « apprendre et monter en compétences » constitue un des principaux critères en termes d’attractivité employeur[2].
L’employabilité joue aussi positivement sur le sentiment de « sécurité psychologique » et sur le climat ou l’ambiance de travail. Même sans projet de mobilité, se sentir « employable » tend à rendre une personne plus efficace, diminue le stress et accroît le sentiment de satisfaction au travail.
Du côté de l’individu : plus de liberté d’action
Salariés ou indépendants, les travailleurs sont eux aussi confrontés à un monde incertain, sans parler du phénomène de « grande démission ».
Depuis une vingtaine d’années, le travailleur est encouragé à la prise d’initiative, la responsabilisation, la « prise en main de sa carrière ».
Une prise d’autonomie qui vient modifier l’équilibre des forces de la relation employé-employeur. Certains auteurs parlent même de « carrières nomades »[3] et depuis quelques années, les « slasheurs » ou le cumul de missions en temps partiel par exemple, se développent. L’employabilité peut même être considérée comme une compétence professionnelle à part entière[4], créant un nouveau contrat psychologique reposant plus sur l’acceptation du changement que sur la loyauté et la subordination passive[5].
« L’expérience employé » pour sortir du dilemme ?
Former et développer les collaborateurs a toujours mis l’entreprise face à un dilemme : former pour être plus performant, attirer et retenir ou… former et voir partir ?!
Dilemme d’autant plus vivace à l’ère d’Internet, des MOOC (Massive Open Online Courses) et de la formation ATAWADAC (pour : « ANY TIME ; ANY WHERE ; ANY DEVICE ; ANY CONTENT »). Les entreprises ont compris à quel point il était crucial pour elles de renforcer l’employabilité et d’offrir des perspectives à leurs salariés comme à leurs candidats pour capitaliser sur leurs ressources humaines, essentielles à la performance. Comment éviter les départs des plus « employables » ? Comment ne pas être considérées que comme des lieux de passage pour des profils ambitieux et déterminés ?
Si l’organisation peut être vue comme « renforçant la capabilité »[6] (capacité de l’acteur à se développer et à trouver de nouveaux horizons), cela ne résout pas notre dilemme.
Il faut penser plus loin, plus global, avec la notion « d’expérience employé ». L’attractivité et la rétention des talents ne se jouent pas seulement sur les parcours, mobilités ou formations proposés.
Pour sortir du dilemme de l’employabilité pouvant conduire à l’infidélité ou à la volatilité des collaborateurs, les organisations doivent considérer tout ce qui contribue à favoriser la satisfaction, l’engagement et la motivation. Et au-delà de ce qui renforce la « capabilité » (on peut toujours avoir envie de se revendre ailleurs), proposer une expérience positive et engageante : gestion du temps de travail, optimisation des processus ou des outils, cadre de travail, RSE, qualité du management, exemplarité et leadership des dirigeants.
[1] J. Othman « L’employabilité : définition, création d’une échelle de mesure et contribution à l’étude des déterminants » – -2011
[2] Harris Interactive / Epoka / L’Etudiant, 2021.
[3] DeFilippi and Arthur, 1994 ;Hall, 1996
[4] Guilbert et al., 2016 ;Loufrani-Fedida et al., 2013
[5] Hilltrop, 1995
[6] L’employabilité durable, une question de mise en capacité(s) ? (F. Noël, G. Schmidt – Année)