BIOCOOP : entreprise responsable tournée vers l’avenir
Consommation exigeante, acteurs engagés et producteurs locaux : la coopérative n’a plus à prouver son utilité ni son impact environnemental. Et elle se fait fort d’intégrer les contraintes de l’époque. Rencontre avec Pierrick De Ronne[1], son président depuis 2019.
L’agroalimentaire est l’une des activités les plus néfastes pour l’environnement. Le bio, excluant pesticides chimiques et OGM, et impliquant une agriculture raisonnée, est présenté comme une alternative salutaire depuis des décennies. Alors pourquoi ne s’est-il pas généralisé ?
La transition écologique, par une alimentation plus saine, a été introduite par les consommateurs. Il y a eu des aides et des accompagnements du monde agricole, mais on voit que quand le consommateur a un pouvoir d’achat amoindri le bio se vend moins et le projet stagne. En fait, ce qui coince, c’est autant la responsabilité de nos décideurs politiques que le monde agricole conventionnel, car le bio n’est qu’un segment de marché. Pour que cela se développe, il faut se questionner sur les impacts positifs de la biodiversité et d’une alimentation saine. Il faut en faire le cœur de la transition alimentaire, en mettant en place des moyens suffisants et en s’engageant dans une démarche qui prenne en compte les règles du marché et la durabilité. La biodiversité a toute sa place dans ces problématiques. Aujourd’hui, le bio plafonne autour de 5 à 10 % de l’alimentation. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour engager une transition.
Les valeurs de Biocoop sont axées autour de la consommation responsable. Ce mot est sur toutes les lèvres aujourd’hui : avons-nous été si irresponsables ?
Le but d’une entreprise est de s’enrichir pour le compte de ses actionnaires. Globalement, c’est l’objectif premier. Elle choisit des produits pour les vendre sur un marché. Son fonctionnement est centré autour d’une construction capitalistique. Après, nous pouvons choisir le modèle coopératif, mais les actionnaires sont les parties prenantes de la société. Tout l’enjeu de l’entreprise est qu’elle puisse rentrer dans une responsabilité vis-à-vis de l’environnement, mais aussi avec ses collaborateurs. Biocoop cherche ce sens-là. On construit un projet qui englobe ces problématiques avec de la création de valeur et de la richesse pour l’entreprise.
À l’heure où les entreprises se questionnent sur leur utilité écologique et sociale, comment parvenez-vous à faire face aux difficultés émergentes du marché, comme l’inflation ?
Économiquement, une entreprise n’a pas intérêt à s’engager dans une démarche écologique. Les réglementations génèrent des coûts supplémentaires. Dans l’alimentaire, mieux vaut vendre un paquet de raisin importé d’un pays lointain qu’un raisin français de saison. Cela sera moins cher et générera plus de marge. Un autre exemple : le jambon bio est beaucoup plus cher que le jambon conventionnel, car le porc est la production que l’on a le plus industrialisée. Pour Biocoop, l’ultratransformation se fait sans sel nitraté, ce qui amène le prix à 32 euros voire à 33 euros le kilo. On est au cœur de la problématique : comment engager des politiques et instaurer des règles de marché propices à l’émergence d’entreprises responsables ? Pour moi, l’entreprise est avant tout un acteur de réconciliation entre les ambitions individuelles, les consommateurs et la transition collective et politique.
Les candidats et les collaborateurs sont en effet plus engagés. Sentez-vous, dans vos recrutements, que quelque chose a changé ?
Chez Biocoop, on va plutôt avoir la problématique inverse, c’est-à-dire que les générations viennent avec leurs angoisses et leurs préoccupations. Je suis moi-même anxieux par rapport au manque de communication politique sur ces sujets environnementaux. Hormis l’activisme, on a très peu de moyens d’entreprendre. Il y a, de ce fait, un rejet des entreprises. Il y a la recherche, à travers son emploi, d’être utile et actif dans ce qui nous préoccupe. Du côté de Biocoop, nous essayons de savoir comment le sens recherché par les salariés se concrétise dans l’emploi du quotidien. C’est dans le management qu’on arrive à concrétiser ce sens-là.
Concernant l’énergie, vous êtes partenaires et cofondateur de longue date d’Enercoop, une coopérative qui développe des structures de collecte d’énergie verte un peu partout sur le territoire. La question des partenaires et fournisseurs est essentielle pour « prouver » une politique RSE vraie et qui a du sens…
L’entreprise est forcément dans un écosystème. Sur la question du carbone, certaines entreprises baissent le chauffage et éteignent les lumières, on demande aux fournisseurs de s’engager dans les accords de Paris. Pour moi, il est évident qu’on n’avancera pas comme ça. L’entreprise doit avoir la première responsabilité. Biocoop est dans la construction et l’accompagnement de cet écosystème avec les industriels et l’agriculture. Sans produits et sans acteurs forts de l’industrie bio, il faut collaborer main dans la main. Enercoop nous a très bien accompagnés, durant la période d’inflation énergétique, en maintenant le prix de l’électricité de l’entreprise. C’est le fruit de vingt ans de collaboration et d’interdépendance.
Quelles actions concrètes pouvez-vous mener demain et dans un avenir plus lointain ?
Les problématiques liées au carbone et à la biodiversité restent centrales. On va continuer à renforcer notre responsabilité sur nos produits : les produits laitiers, le café et le chocolat. On réduirait nos impacts carbone si tous nos chocolats étaient issus de l’agroforesterie. La question est de savoir comment on s’engage dans ces questionnements, des sujets passionnants et qui seront de plus en plus importants durant au moins une bonne dizaine d’années.