BAYER : Taillé dans l’expérience, un leadership décomplexé, authentique et horizontal

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Mise en place d’un mode d’organisation hybride, réunions et déplacements réduits mais efficaces, ateliers d’accompagnement des salariés… Bayer souhaite rendre l’expérience collaborateur tangible et concrète. Rencontre avec Benoît Rabilloud, président de Bayer France.

Par Anne-Cécile Huprelle

Acteur industriel important dans la santé et l’agriculture, le groupe Bayer France mise sur un mode d’organisation hybride déjà mis en place avant la crise sanitaire. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Ce mode hybride comprend plusieurs dimensions qui regroupent la mise en place du télétravail, la réflexion globale sur les lieux de travail, la ges- tion des mobilités et l’organisation en matière de réunions. S’agissant de ce dernier point, depuis 2021 mon comité de direction et moi- même nous réunissons trois fois par trimestre : deux fois en visioconférence et une fois en présentiel, ce qui réduit les déplacements. Même chose pour les séminaires de nos trois divisions : nous avions l’habitude d’en faire plusieurs par an ; aujourd’hui, un séminaire est organisé en présentiel, le suivant à distance. Concernant le télétravail, je suis convaincu que nous avons été avant-gardistes. En 2007, quand Bayer a racheté Schering, basé à Lille, le siège de nos activités pharmaceutiques a été implanté dans les Hauts-de-France. Le télétravail avait donc été instauré pour les équipes parisiennes faisant du commuting : un ou deux jours de travail à domicile avaient été proposés. Je l’avais également proposé à mon assistante, ce qui avait d’ailleurs suscité beaucoup de stupéfaction autour de moi… Ensuite, j’ai moi-même travaillé quatre années en Allemagne, et, dans ce pays, la pratique est courante. Après les confinements forcés de 2020-2021, nous avons signé un accord per- mettant aux équipes de passer jusqu’à 50 % de leur temps en télétravail [TT]. Bayer offre cent jours de TT « annualisables » : le collaborateur bénéficie de son capital et le répartit comme il le souhaite. La seule limite imposée : chaque salarié doit venir au moins une fois par semaine sur site. Nous avons opté pour une approche pragmatique et flexible fondée sur la confiance. C’est le collaborateur qui décide de ses jours de présence sur site, sachant que le manager peut, lorsque cela est nécessaire, demander à son équipe de venir au bureau afin d’assurer un bon fonctionnement de son organisation. Bien sûr, il y a différents niveaux : tout ce qui est administratif relève de cette modélisation présenciel-distanciel. Sur les sites industriels, en revanche, le télétravail des salariés en production n’est pas possible.

Justement, existe-t-il des aménagements particuliers, une contrepartie pour les collaborateurs ne pouvant bénéficier de ce télétravail ?

Non, car c’est lié à la nature même de leur activité. Avec plus de 3 000 salariés à Bayer France, il y a différents métiers : des itinérants à 100 % chez les clients ou à la maison, des fonctions administratives avec un mode hybride… Je n’ai pas le sentiment que cela génère des inégalités dans le corps social. Cela aurait pu être un risque, mais, quelque part, tout le monde comprend la différence des missions. C’est aussi pour cela que nous sommes allés vers ce que l’on appelle « le télétravail spécifique » : on offre au personnel administratif, sur les sites industriels, deux jours de télétravail au maximum par semaine, pour que, justement, ils soient présents auprès des salariés de production. L’important, c’est de communiquer. Et le fait d’avoir été ouvert pour mener des discussions, notamment avec les syndicats, sur des sites de recherche et de développement, sur des sites de production, cela a beaucoup joué sur la conclusion de l’accord de télétravail chez Bayer. Nos sites de production ou de R & D ont également la possibilité de pro- poser du télétravail occasionnel pour les métiers opérationnels, par exemple lors d’une formation ou d’une réunion à distance.

Vous avez clairement défini un programme de qualité de vie au travail en lien avec ces nouveaux modes d’organisation hybride, avec la mise en place d’ateliers notamment.

Oui, des ateliers de deux heures, alternant apports théoriques et exercices pratiques, ont été conçus pour mieux appréhender ces nouvelles façons de travailler et mieux les vivre. Pourquoi a-t-on mis en place ces ateliers ? Parce que le télétravail a ses limites et nécessite une bonne hygiène de vie pour éviter un retour de manivelle. Quand vous enchaînez des réunions face à un écran, à la fin de la journée vous en avez plein la tête. Cela a forcé- ment un impact sur votre bien-être et, donc, sur votre performance. Nous nous sommes dit qu’il fallait travailler différemment. Les réunions que nous faisons à distance doivent aussi respecter un rythme quotidien et être soumises à un droit à la déconnexion. Par ailleurs, le télétravail n’implique pas de rester à la maison tout au long de la journée ; il est vivement conseillé de sortir de chez soi, de respirer. Personnellement, quand j’ai le temps, je fais une heure de vélo pour prendre l’air. Ces ateliers Bayer permettent donc de partager tous ces éléments.

Le télétravail nécessite du matériel. Que proposez-vous à vos salariés ?
Quand vous êtes à la maison, vous bougez beau- coup moins, vous perdez les occasions d’aller échanger avec un collègue. L’installation et l’as- sise sont donc importantes. Je me suis acheté un bureau évolutif, qui monte et qui descend. Nous avons donné un forfait de 400 euros aux télétravailleurs pour qu’ils puissent s’équiper comme ils le souhaitent. Si on veut que le travail de demain soit réussi chez Bayer, il faut y mettre les moyens et l’intégrer dans nos pratiques.

Les managers de proximité peuvent bénéficier de la formation « Parcours leadership et résilience : comment engager les équipes dans un monde mouvant, faire de ses émotions une énergie positive »… L’idée est-elle d’adapter l’humain dans un climat d’incertitude ?
Le climat d’incertitude n’est pas nouveau. Ce qui a changé, c’est que les amplitudes des crises sont différentes. Le temps entre les changements et les transformations a beaucoup diminué. Il y a une vingtaine d’années, la transformation d’une entreprise se faisait tous les cinq ans. Aujourd’hui, c’est tous les trios ans. Chez Bayer, on n’a jamais autant mené de réflexions dans l’ensemble de nos activités. Ces formations sur le leadership et la résilience ont déjà été proposées à 260 managers. Elles sont axées sur l’intelligence émotionnelle. C’est le support qui a été retenu. Nos managers ont accepté de faire un test d’intelligence émotionnelle. Et moi aussi. Le test QE permet d’évaluer une vingtaine de compétences émotionnelles, de la gestion du stress à la prise de décision, en passant par les relations humaines. Il est important de se connaître, de repérer ses émotions, ses forces et ses fragilités pour savoir réagir aux situations et comprendre les émotions de ses équipes. L’objectif final, c’est d’avoir des leaders encore plus inspirants.

Ne craignez-vous pas que l’intelligence émotionnelle soit un effet de mode ?
C’est vrai qu’on en parle aujourd’hui beaucoup plus qu’auparavant, que s’exprimer sur ses émotions ne choque plus personne. Régulièrement, avant d’attaquer une réunion, nous faisons un « tour de météo », en demandant aux équipes comment elles vont. Une fois que vous écoutez l’état d’esprit de chacun, en tant que leader, vous adaptez votre animation pour vous assurer que vous embarquez bien tout le monde. En travaillant sur les émotions, on arrive à faire plus de choses. Concernant l’impact et la motivation, cela fait sens.

Dans le cas d’un style de leadership qui ne prend pas en compte cette réciprocité des émotions, on est à côté de la plaque ?
Cela dépend probablement des entreprises, de leurs différents styles d’organisation. L’intelligence émotionnelle induit une dose de courage : il n’est pas donné à tout le monde de s’ouvrir, de partager son ressenti, même si c’est nécessaire. Quand je suis arrivé à Crop Science, l’activité agriculture de Bayer, j’ai valorisé l’importance que la prise de décision avait pour moi, le fait d’oser prendre des risques et donc d’accepter parfois de faire des erreurs. J’ai d’ailleurs moi- même partagé avec les équipes des erreurs que j’avais commises lors de mes précédentes expériences. À l’époque, cela avait beaucoup surpris. Aujourd’hui, cette horizontalité devient la norme.

Le leadership décomplexé, émotionnel, horizontal peut-il toucher la culture d’entreprise ?

Cela va certainement l’influencer. Ce qui est indispensable, c’est le walk the talk – de la parole aux actes –, l’exemplarité des dirigeants. À l’issue des réflexions sur l’hybridation du travail, Bayer a choisi de ne plus attribuer de bureaux attitrés : il était évident que le premier qui devait abandonner le sien, c’était moi. Je m’installe sur les mêmes tables que les collaborateurs, c’est une question de crédibilité. Dans une entreprise où il est fait peu de cas de l’intelligence émotionnelle, cela déteindra sur le comité de direction et les équipes.

Comment pourriez-vous définir la culture d’entreprise de Bayer ?
Cela fait vingt-sept ans que je travaille pour le groupe Bayer et je suis en phase avec ses valeurs. La culture d’une entreprise ne peut tenir debout sans valeurs. Une stratégie, on peut la copier. Une culture, non, c’est inhérent aux racines d’une organisation. Depuis cent cinquante ans, le groupe Bayer apporte des solutions dans l’agriculture et dans la santé, sur des marchés différents, ce qui génère beaucoup de diversité. La culture, c’est le liant qui renforce le sentiment d’appartenance et de fierté. Ces notions d’éthique, de bienveillance, de transparence de nos activités peuvent définir la culture d’entreprise de Bayer. J’applique à moi-même ces valeurs et j’essaie de les faire vivre dans l’ensemble de l’entreprise.

Lorsque Bayer avait annoncé racheter Monsanto, producteur du Roundup1, le fameux herbicide à base de glyphosate, le groupe avait concentré toutes les attaques contre lui, au point d’incarner à lui seul les dérives d’un capitalisme prêt à sacrifier la santé des populations et des agriculteurs au nom du profit. Comment avez-vous fidélisé ou attiré des collaborateurs dans ce contexte ?

On ne peut pas se voiler la face : Monsanto pouvait entraîner de forts rejets. Ce rachat a eu un impact sur notre réputation. Mais sur la dimension stratégique des choses, si c’était à refaire, oui, je le referais. Si on croit à notre vision de l’agriculture, à la nécessité de transformer le modèle agricole, d’offrir des solutions avec moins de produits chimiques, oui, il fallait le faire. Ce qui nous intéressait dans Monsanto c’étaient les semences (Monsanto en était le leader mondial), le digital, bref, les solutions de demain. L’impact « réputa-tionnel », nous ne pensions pas qu’il serait aussi fort. Comme c’était Bayer qui rachetait Monsanto, je pensais que nos valeurs nous permettraient d’absorber cela. Ce fut plus compliqué que prévu, car, d’une certaine façon, les attaques de l’époque ciblaient non seulement Bayer et Monsanto mais surtout le modèle agricole des grands groupes. C’était toute l’industrie qui était attaquée. Cette étape nous a aussi permis de décoder ce que voulait nous dire la société : il fallait accélérer la transformation de notre modèle vers des solutions permettant de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires tout en continuant à aider les agriculteurs à protéger leurs cultures. Un nouveau modèle à la fois durable et viable pour les agriculteurs, premiers acteurs de la souveraineté alimentaire dont on parle tant aujourd’hui. Par rapport aux équipes, ce qui a été violent pour nos 3 200 collaborateurs, c’était ce fossé entre ce qui était dit dans la presse sur notre groupe, largement diabolisé, et leur vraie vie quand ceux-ci rentraient le soir chez eux. Ce qui m’a motivé à les rencontrer, à instaurer des débats, à expliquer réellement qui nous étions et pourquoi nous avions fait des choix. Vous savez, la communication est essentielle : bien avant le rachat de Monsanto, nous avons travaillé notre raison d’être. Cela a permis à Bayer d’avoir ce côté transversal et de faire dialoguer tous les « business » ensemble autour de la question : « Qu’est-ce qu’on apporte à la société ? » La raison d’être de Bayer est de protéger la vie, qu’elle soit humaine ou végétale, en mettant à disposition des produits et solutions innovants, efficaces, sûrs et durables. Cela n’a rien à voir avec les idées reçues véhiculées par la presse ultérieurement.

Vous menez actuellement deux projets sur des sites administratifs. L’approche générale concerne le plaisir de venir sur son lieu de travail, la transversalité, les exigences en matière d’innovation et de durabilité, l’exemplarité des managers et des membres du codir « au milieu de leurs équipes ». Pouvez-vous nous en parler ?

Ces lieux concrétisent l’hybridation du travail chez Bayer. Notre façon de travailler change : venir au bureau pour traiter ses e-mails n’est plus efficace, pour cela mieux vaut rester à la maison. Le bureau doit offrir autre chose : la connexion, le social, la créativité, le brainstorming. Repenser le site administratif en intégrant cette volonté de faire venir les gens pour se connecter. C’est pour cela que nous sommes pour le flex office. Le pro- jet de LGC est aujourd’hui bien en place ; nous travaillons actuellement sur le projet de Lyon Saint-Pierre, où le déménagement est prévu pour 2023 (à 500 mètres de notre siège actuel). Il com- prend des lieux de travail ouverts, sans bureaux individuels fermés ; un mode de fonctionnement en villages, permettant aux managers d’être au cœur de leurs équipes ; des espaces de travail à taille humaine et diversifiés (ni trop petits ni trop grands). C’est une zone repère pour les collaborateurs et les managers, facilitant les rencontres et permettant le travail et l’esprit d’équipe. Ces villages se composent de postes de travail partagés en espace ouvert (postes de travail non attribués – je m’installe où je le souhaite au sein de mon village) et sont accompagnés d’espaces d’échanges situés à proximité immédiate et d’espaces pour les actions qui nécessitent calme, concentration, confidentialité, etc. Le principe d’exemplarité est important pour moi. Chaque manager ou membre du codir partage exactement le même format que son équipe, avec un village où se retrouver et avoir ses repères. Ce projet s’inscrit aussi dans les engagements de Bayer pour l’innovation et la durabilité, car il valorise le local dans le choix de ses prestataires et prône une démarche durable, s’inscrit dans l’obtention du label environnemental Breeam Very Good, garantit une faible consommation d’énergie et est accessible en mobilités douces.