Barrière : comment le groupe a inversé son turnover

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Le groupe centenaire doit sa pérennité à des dirigeants entrepreneurs et à une politique RH qui a su s’adapter aux évolutions sociétales. S’agissant de l’attraction et de la rétention des talents, devenues si complexes dans l’hôtellerie-restauration, Barrière témoigne d’un bilan positif. Rencontre avec André Decoutere, Directeur général en charge des ressources humaines. 

Par Anne-Cécile Huprelle

Il y a quatre mois, vous avez été nommé au poste de Directeur général des ressources humaines de Barrière. Ce groupe que vous connaissez depuis 23 ans. Que peut nous dire le collaborateur de cette Maison ? 

Que je n’ai jamais rencontré un endroit où les collaborateurs sont aussi bienveillants. Cela paraît simple ainsi, mais je vous assure que cette qualité, partagée par le collectif, cela fait toute la différence. Cet ADN a été transmis par la famille Barrière et par la nature même de nos métiers tournés vers le service du client. Quand un collaborateur est heureux, le client l’est aussi.

 

Deux décennies : c’est assez long pour avoir vu ce métier des ressources humaines évoluer comme jamais. 

Le métier est devenu plus exigeant. Le système réglementaire s’est durci. Les contraintes et les délais sont nombreux. La matière humaine a toujours été délicate à gérer, elle le sera toujours. Aujourd’hui, dans nos métiers de services, on le sait, nous avons du mal à recruter. Bien sûr, le COVID a modifié les règles. Mais la dynamique était là. Les ajustements de salaires, de considération des employés devaient se faire d’une manière ou d’une autre. On a dû adapter nos règles et nos messages. Des mesures sociales ont été prises dans le groupe, nous avons essayé de travailler la partie rémunération très fortement. Le treizième mois a été généralisé dans tous nos établissements. La rémunération des heures supplémentaires a été systématisée pour offrir aux salariés un réel pouvoir d’achat, en lieu et place de la récupération. On a mis en place un paiement d’heure de nuit, particulièrement dans les casinos. Ces horaires ont été majorés de 10% pour les postes tournants ou 5% pour tous les travailleurs de nuit. Autre mise en place : 5 week-ends obligatoires de repos par an. De même, un soin tout particulier a été donné aux perspectives d’évolution offertes au salarié. Ces mesures nous ont permis de remettre un peu d’essence dans le moteur de la motivation et cela a été payant. Depuis 2020, le turnover du personnel a été stabilisé. Aujourd’hui, il est même en train de baisser. Notre politique RH et managériale aussi a été payante. Il faut être particulièrement attentif aux cinq premières années d’un collaborateur. Statistiquement parlant, au-delà de cette période, le turnover baisse sensiblement. Nous travaillons avec des populations jeunes ou en reconversion : le temps de découvrir le métier, d’appréhender le rythme, l’équilibre vies pro et perso.

 

Faites-vous ressentir cet attachement, manifeste, à la Maison Barrière, lors de recrutement ?

J’espère. Beaucoup de collaborateurs ont des anciennetés assez fortes dans le groupe. Nous sommes dans des métiers exigeants, denses au niveau horaire, les collaborateurs sont soumis à des rythmes de travail importants. Leur présenter les choses d’une manière positive en évoquant l’attachement au Groupe des salariés, conséquence de notre politique RH, c’est un avantage majeur.

 

Avez-vous besoin de valoriser la marque Barrière, ou le capital sympathie de ce groupe s’impose de lui-même ? 

Comme beaucoup d’entreprises, autrefois, nous avons capitalisé sur notre marque en nous disant qu’il n’y avait pas de questions à se poser … Et non, ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, les gens ne viennent plus uniquement pour cela, ils sont attirés par les valeurs, les politiques RSE et RH. Aujourd’hui, les valeurs s’individualisent, nous devons nous adapter à  chacune des individualités que l’on a en face de nous. Avant, on priorisait le collectif. Aujourd’hui,nous nous intéressons à chaque profil.

 

En termes d’accompagnement clé, Barrière propose un onboarding orienté vers l’efficacité…

Oui, nous avons un gros projet sur 2024 pour proposer un onboarding digitalisé, entre le dépôt de la candidature, jusqu’à la fin de la période d’essai. Et jusqu’ici, nous organisions des parcours d’intégrations ludiques. Pourquoi ? Quand on recrute un CDI, on a le temps de s’en occuper, mais pour les 1600 collaborateurs que l’on recrute en saison, l’intégration est plus brève. Tous nos DRH sur sites proposent des parcours synthétiques ou les candidats découvrent tous les métiers, les établissements au sein d’un même Resort, comme à Deauville. L’idée c’est la rapidité et l’amusement. C’est notre plus. D’autant qu’aujourd’hui, nos candidats n’ont plus forcément de formations initiales, l’idée est de les mettre en immersion très rapidement et de leur schématiser un plan de carrière qu’il pourrait mettre en place chez nous.

 

« Campus Barrière » est un programme « maison » destiné à la formation et aux métiers de demain. Et il y a trois mois, la « formation croupier 100% Barrière à destination des demandeurs d’emploi » a été lancée. Vous nous racontez ? 

Campus créé en 2019 a deux objectifs : assurer la formation professionnelle de nos collaborateurs, notamment par la mise en place de formateurs internes et Campus a aussi pour vocation de s’occuper des talents et plans de carrière. Au travers de cela, on s’occupe de formations professionnalisantes, avec, par exemple, le lancement d’une école de croupiers et une formation dédiée aux managers de salles. Pour les croupiers, auparavant, nous passions par des organismes extérieurs. Nous avons décidé de capitaliser sur cette confiance que les gens ont en nous, on s’est donc lancé dans l’aventure avec Pôle Emploi et l’AFDAS, en décembre 2023. Bilan : notre première promotion d’une vingtaine d’apprentis se déploie aujourd’hui dans nos établissements. Nous motivons des gens en interne, car ils arrivent à transmettre leur savoir. Les candidats sont à Deauville, logés au sein de l’un de nos casinos, ils sont en immersion totale dans leur futur univers professionnel.

 

Sur le bien-être du collaborateur, Barrière dit mener une réflexion sur le management responsable. De quoi s’agit-il ? 

Aujourd’hui, un manager qui n’est pas exemplaire n’est pas crédible, il est même hors-jeu. La responsabilité n’est pas une compétence, c’est un devoir et chez Barrière, nous sommes intransigeants.. Au sein de notre groupe, l’Humilité, l’Audace, le Partage, l’Esprit collectif et la Confiance forment le cercle d’exemplarité des managers. Aujourd’hui, dans les entreprises, quand les talents partent, le plus souvent, c’est à cause de l’ambiance. Le management de qualité est une des clés de la rétention des talents.

 

Comment savez-vous quand une ou plusieurs équipes ne vont pas bien ? 

Grâce notamment à des outils de sondage. Nous utilisons, par exemple Supermood, un outil d’écoute interne pour faciliter le partage de l’information, le gain de  temps. Avec cet instrument, nous avons instauré un dialogue social constant pour écouter les employés et pour interagir de manière rapide. C’est un outil de mesure et d’adaptation de notre politique RH. En moyenne, 1 salarié sur 2 répond à nos enquêtes.

 

Il y a 20 ans les outils d’analyse n’existaient pas : étiez-vous à l’aise quand ils sont arrivés ?

Oui, car cela nous oblige à ne pas rester ancré dans nos certitudes. Parfois, on croit avoir une super idée, les collaborateurs nous répondent que non et vice-versa. Les collaborateurs sont nos clients internes. Je le dis depuis des années. Contrairement aux « on dit », la politique RH n’est pas uniquement une charge, au contraire, elle participe aux bons résultats d’une entreprise.

 

Quelle est la différence quand on travaille dans un groupe qui a appartenu à la même famille depuis plus d’un siècle ?

C’est une fierté ! Les valeurs inculquées par la famille sont partagées par la plupart des collaborateurs. Et même si les membres de la famille se sont succédés, avec aujourd’hui la 4ème génération qui vient de prendre la Présidence du groupe, il y a une continuité forte. Depuis que je suis chez Barrière, j’ai toujours entendu la famille mettre l’accent sur  l’importance des collaborateurs et le rôle clé que cette dernière joue dans la vie de ses salariés. Aussi, dans le cas Barrière, on peut évoquer le sentiment d’appartenance. Il y a un une culture d’entreprise bien-sûr, mais surtout un esprit, c’est-à-dire la façon dont les collaborateurs traduisent la culture d’entreprise inculquée depuis un siècle par la famille Barrière.

 

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BARRIÈRE

Fondée en 1912 par François André et développée successivement par Lucien Barrière et Diane Barrière-Desseigne, la Maison familiale française est aujourd’hui co-présidée par Joy Desseigne-Barrière et Alexandre Barrière et dirigée par Grégory Rabuel, directeur général. Le groupe compte 32 Casinos, 1 Club de Jeux, 19 Hôtels et plus de 140 restaurants et bars, dont le Fouquet’s à Paris.

 

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CHIFFRES CLÉS

-112 ans d’existence

– 7 000 collaborateurs

-50 métiers