Enrique Martinez, CEO FNAC DARTY – Leader à la page

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Il revendique un commerce qui a du sens, pour les clients comme pour les collaborateurs. Entre le nouveau plan stratégique Beyond Everyday, son livre et sa présence engagée dans les médias, Enrique Martínez impose le style d’un dirigeant connecté à son époque. Rencontre avec le PDG de Fnac Darty, qui mise autant sur la durabilité et la culture que sur la force de sa marque employeur.

Par ANNE-CECILE HUPRELLE

Vous êtes à la tête de Fnac Darty depuis 2017. Comment décririez-vous votre rôle aujourd’hui, à la croisée du commerce, de la culture et du service ?

Le groupe a énormément évolué en quinze ans. Nous venons d’un ensemble de marques indépendantes. Il y a eu la fusion de Fnac et Darty en 2016, puis un enchaînement de transformations vers un modèle plus responsable, autant dans la consommation que dans notre façon d’opérer, avec une place croissante des services.

Le Covid a bousculé les priorités, puis nous avons lancé la stratégie Everyday et, plus récemment, notre nouveau plan Beyond Everyday. Nos fondamentaux restent intacts : des marques très fortes, des équipes passionnées et engagées, un ancrage géographique proche, avec la France comme premier pays.

La Fnac porte une dimension sociétale autour de la culture et des passions ; Darty, la confiance, le service et la proximité. Notre enjeu, c’est de transmettre cet héritage dans un monde qui change très vite.


Quelle qualité première vous a été nécessaire, en tant que leader, pour réussir le rapprochement Fnac Darty ?

Il n’y a pas une seule qualité. J’ai grandi dans ce groupe depuis près de 27 ans. L’intégration, pour moi, n’est pas une logique de domination mais de développement : attirer, intégrer, faire monter le niveau de tout le monde.

C’était vrai en 2016 avec Darty, c’est vrai aujourd’hui avec Unieuro en Italie. J’ai beaucoup investi pour que ceux qui nous rejoignent se sentent utiles et trouvent un intérêt réel à l’aventure collective.

C’est un point clé de réussite : éviter la logique « gagnants/perdants » qui détruit de la valeur, et au contraire pérenniser les talents.


L’entreprise Fnac Darty s’est profondément transformée avec Everyday, puis Beyond Everyday. Quels sont les piliers majeurs et la vision à horizon 2030 ?

Nous passons d’une relation centrée sur la vente de produits à une relation de long terme portée par les services. Nous comptons déjà environ 2 millions de clients abonnés à nos différents services.

L’objectif est d’aller beaucoup plus loin : consolider Darty Max, la réparation, et ouvrir d’autres territoires (B2B, nouveaux services, nouveaux clients).

Demain, Fnac Darty sera autant une marque de retail qu’une marque de services : notre profit viendra des deux, moins dépendant d’un seul pilier. Nous diversifions nos activités (réparation, services), nos géographies (Italie), et nous investissons fortement : magasins et concepts, systèmes d’information, mise en valeur des offres pour libérer du temps aux équipes et renforcer la relation client.

Le plan est très structuré et décliné par pays et directions.


Fnac Darty est donc un acteur de services et d’expérience client, plus qu’un distributeur ?

Nous sommes les deux. Notre différence n’est pas d’être une plateforme : nous sommes des spécialistes et nous voulons le faire savoir. Le modèle hybride magasin/digital est notre terrain naturel, avec l’humain, le conseil et la personnalité de marque en plus.


Le e-commerce est-il relais de croissance, une menace pour les magasins… ou les deux ?

Près d’un quart de notre activité vient déjà du e-commerce. Cette part progressera, donc il faut continuer à s’adapter.

Mais le digital ne doit pas « assassiner » le magasin : le magasin est le hub de la relation client, à la fois physique et digital (click & collect, SAV, conseil).

Notre combat, c’est de tenir la qualité au niveau des meilleurs distributeurs en ligne et d’y ajouter ce que nous seuls pouvons offrir : l’expertise, l’humain, la proximité.


Y aura-t-il, dans quelque temps, deux typologies de clients, les 100 % e-commerce et les 100 % magasin ?

Les parcours clients sont multiples et les clients sont complexes : les mêmes personnes n’ont pas les mêmes comportements selon le jour, le besoin, l’envie.

Pour un achat plaisir ou engageant, le magasin reste la meilleure solution ; pour la simplicité et la rapidité, le digital est formidable. Il y a très peu de clients exclusivement en ligne ou en magasin. Notre réseau est dense : quand ils ont le choix, ils arbitrent selon l’instant.


Vous vous êtes positionnés très tôt sur la réparation et la durabilité. Est-ce un axe économique ou éthique, et comment garder l’équilibre ?

La durabilité a du sens : création de valeur, engagement social des collaborateurs et des clients. Nous voulons rester rentables sans transiger sur l’exigence écologique. C’est une opportunité de leadership, cohérente avec notre histoire : Darty est une marque de service depuis plus de 50 ans, la Fnac porte un engagement culturel fort. Nous ne voulons pas être une mauvaise copie d’un acteur digital américain ou chinois : nous devons rester nous-mêmes, avec des marques qui parlent aux gens.


Est-ce important aujourd’hui pour un patron d’incarner une cause ?

Oui, mais l’incarnation du quotidien pour le client, c’est d’abord son vendeur, son livreur, son disquaire. Pour les équipes, en revanche, le dirigeant doit porter le projet, expliquer le chemin avant et après le lancement d’un plan, et prendre la parole dans les médias avec cohérence.


Votre présence dans les médias s’apparente-t-elle à une obligation ou un plaisir ?

Il y a une obligation liée à la fonction : diriger un groupe suppose d’avoir un avis et de s’exprimer. C’est agréable quand cela sert le projet, c’est un moyen, pas une fin.


Vous avez publié Et si on consommait mieux ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Je voulais réconcilier écologie et business. Trop souvent, le débat est excessif autour de l’écologie et abordé sous l’angle des mesures punitives. Mon livre m’a permis d’exposer une vision structurée, au-delà d’un article ou d’une punchline. Les retours à l’intérieur même du Groupe ont été forts : beaucoup s’y sont reconnus, notamment celles et ceux engagés dans la réparation et la durabilité. Le livre a aussi été traduit au Portugal et en Espagne, ce qui en a prolongé l’impact.


Vous défendez une « troisième voie » entre hyperconsommation et déconsommation. Comment se traduit-elle dans la stratégie ?

Par la réparation, l’abonnement-service, la durabilité utile et une promesse culturelle forte. Le commerce peut être à la fois partie du problème et de la solution : tout l’enjeu est de mesurer, d’éviter les extrêmes et d’agir de façon pragmatique.


Vous êtes un ardent défenseur de l’accès à la culture pour tous. Comment la Fnac continue-t-elle de jouer ce rôle dans un monde dominé par les écrans ?

Nous n’en faisons pas assez. Il faut faire davantage pour remettre la lecture au cœur du quotidien, surtout des jeunes. Cela passe par tout l’écosystème : édition, école, pouvoirs publics.

Et par une vigilance sur l’exposition aux réseaux sociaux : je ne suis pas contre la technologie, mais sans contrôle, elle peut nuire au développement des plus jeunes. En revanche, il faut donner envie, pas moraliser.


Vous lisez beaucoup vous-même ?

Oui, et je me force à trouver le temps. Je lis de tout : essais, romans, BD. La sociologie, l’anthropologie et l’histoire m’intéressent particulièrement.


Fnac Darty est un groupe français à rayonnement européen. Comment conciliez-vous cet ancrage national avec votre développement international, notamment l’intégration d’Unieuro en Italie ?

L’identité évolue avec la croissance. Nous devons la réinterpréter pour qu’elle parle à tous. Les marques conservent leur personnalité, et le groupe construit une identité commune : valeurs, principes, objectifs.

Avant une intégration, nous vérifions la compatibilité des modèles (humains, commerciaux, économiques) et des équipes. Avec Unieuro, nous avons conservé l’équipe en place : nous avons une forte proximité de valeurs et de vision.


Comment pourriez-vous définir votre marque employeur en un mot ?

C’est une marque vivante, portée par celles et ceux qui travaillent chez Fnac Darty. Notre marque employeur, c’est une façon claire et directe de dire qui nous sommes et ce que nous proposons à celles et ceux qui nous rejoignent.

Elle est construite autour de l’idée que nos talents ont « plus à exprimer ». Notre notoriété facilite la fierté d’appartenance. Mais nous avons surtout bâti l’image d’un employeur responsable (parité, éthique, opportunités).

Pour un jeune, la question clé reste : vais-je apprendre, grandir, avoir de l’autonomie ?

Notre force : un groupe indépendant, ambitieux, innovant, grand, mais agile. Ici, on peut porter des projets comme au sein d’une start-up, avec des moyens réels et un cadre clair.

On recrute dans des métiers variés, avec des besoins particuliers sur les secteurs en tension : réparateurs, experts du numérique, concepteurs cuisine, experts de la relation client… Ce qu’on veut, ce sont des profils curieux, passionnés, engagés, qui partagent notre vision d’une consommation plus durable et qui ont envie de construire quelque chose avec nous, sur le long terme.


Êtes-vous en phase avec la philosophie de l’intrapreneuriat appliquée à vos équipes ?

Oui. Chacun doit pouvoir proposer, agir, faire la différence, tout en respectant la stratégie globale. Cet espace de liberté encadrée est réel, il n’est pas réservé au comité exécutif.


La santé mentale des jeunes salariés : est-ce un sujet d’entreprise à part entière ?

Chez Fnac Darty, la santé mentale est une priorité concrète partagée par toutes les équipes. Nous avons une politique ambitieuse de prévention, intégrée aux parcours de formation, pour placer le bien-être au cœur de notre culture et faire progresser durablement la culture du « care » et de la bienveillance au sein du Groupe. L’entreprise est
un espace de socialisation, mais la pression sur les jeunes est souvent extérieure : indépendance plus difficile, coût du logement, incertitudes face à l’avenir. Cela pèse sur le moral et les trajectoires : moins de naissances, moins d’espoir… L’entreprise doit canaliser ces énergies, et la société doit suivre.


Entre attractivité pour les jeunes et valorisation des plus de 55 ans, quelle politique globale pour mobiliser « toutes les forces » sans perdre en productivité ?

Économiquement, nous avons besoin de tous. Il faut adapter certaines conditions de travail, accompagner la parentalité, et capitaliser sur l’expérience.

Chez nous, l’ancienneté moyenne dépasse 15 ans et de nombreux métiers techniques ont un âge moyen élevé : c’est un atout, pas un handicap. En parallèle, il faut intégrer et former les jeunes pour des carrières longues.

Nous misons beaucoup sur la transmission intergénérationnelle, notamment au sein de notre Tech Academy, où ce sont les techniciens les plus âgés qui forment les jeunes recrues. Ce modèle est extrêmement vertueux.