Jean Agulhon, DRH de la RATP : « Nous devons travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés »

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Le groupe RATP semble entamer un aggiornamento. Au cœur de celui-ci, un accord sur la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT) signé cette année. Objectifs : développer l’attractivité de l’entreprise et fidéliser les salariés dans un contexte d’ouverture du réseau à la concurrence. Rencontre avec son Directeur des Ressources Humaines, Jean Agulhon.

Par Anne-Cécile Huprelle

La RATP a 75 ans : quel rapport les Franciliens ont-ils avec ce réseau historique ?
La RATP n’est pas qu’une entreprise francilienne. C’est aussi une entreprise qui intervient dans 15 pays sur 5 continents. On parle souvent des 45 000 personnes qui travaillent en région parisienne et pas suffisamment des 26 000 autres personnes qui opèrent dans les bus, trains, métros automatiques, téléphériques et navettes fluviales, ailleurs. Mais c’est vrai qu’il y a une histoire intime entre l’Île-de-France et la RATP. Et je crois que cet attachement a trouvé un nouveau motif de se solidifier à l’occasion des Jeux Olympiques. La RATP a pris sa place dans la réussite de l’événement.

 

La RATP prépare son ouverture à la concurrence d’ici 2025. Comment votre nouvelle promesse RH soutient-elle cette transition, en termes de gestion des talents et d’acquisition de compétences clés ?
Notre promesse RH offre à la fois un cadre de travail sûr et stimulant. Le besoin de sécurité-S- était sous-estimé et sous-investit ces dernières années. Et pourtant, il  est centrale. Il est multidimensionn, cela englobe la stabilité de l’emploi, la sécurité dans les conditions d’exercice du travail. Dans le cas de la RATP, quand la plupart de nos collaborateurs sont en contact régulier avec le public, on mesure combien les agents des services sont connectés à la société dans son ensemble. Mais la sécurité, c’est aussi pouvoir bénéficier d’un logement digne, suffisamment proche de son lieu de travail. Nous avons également à cœur les enjeux de santé à la RATP puisque nous avons un dispositif qui permet d’offrir aux salariés un accès privilégié à la médecine générale et à toutes les médecines de spécialité, dans des délais extrêmement réduits et à des conditions financières tout à fait accessibles. Le second pilier se trouve dans un cadre le plus émancipateur possible. Nous avons des recrutements dans toutes les catégories sociales et professionnelles de la société. Nous sommes très attachés aux perspectives d’ascenseur social ou de parcours professionnel, parmi les 230 métiers que le Groupe exerce. L’instauration d’un cadre de travail émancipateur, c’est-à-dire qui favorise la responsabilité de chacun, la capacité d’initiative, le goût de l’action au service d’une mission partagée, c’est enfin tout le sens de la mission des managers du Groupe.

 

Peut-on s’arrêter un instant sur le logement des salariés, sur lequel votre accord insiste ?
Il n’échappe à personne que la responsabilité du premier conducteur de bus, de métro ou du premier agent qui ouvre une station, c’est d’offrir la possibilité aux premiers salariés du matin ou au dernier salarié du soir de pouvoir accéder à leur lieu de travail. Ceux-là mêmes qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur leur infrastructure. La question de la proximité du lieu de travail et du lieu de résidence pour des gens qui ne peuvent pas bénéficier d’un transit est importante pour des raisons de disponibilité comme de confort de vie. Nous avons également perçu que, dans certains métiers, il pouvait y avoir une relation entre des temps de transport et une certaine forme d’absentéisme. Quand vous êtes dans des situations monoparentales, plus vous diminuez le temps de transport, plus vous offrez aux personnes qui doivent s’occuper d’un enfant ou d’un proche aidant, une meilleure qualité de vie. Enfin, quand on est dans un territoire économique où le coût du logement est important, c’est un sujet RH. La question du logement est donc particulièrement prégnante à la RATP.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’accord QVCT signé cette année ?
Deux éléments saillants. L’ouverture à la concurrence fait que la promesse employeur, qui reposait à tort ou à raison sur la garantie de l’emploi et le régime spécial des retraites, disparaît, puisque, même si l’on gagne les appels d’offres, ce n’est plus par l’EPIC qu’on pourra y répondre, mais par des filiales qui n’ont pas ces deux attributs. Il faut que l’on reformule une forme de contrat social pour attirer les personnes. Par ailleurs, nous avons une proportion de salariés exposés à des conditions de travail particulièrement éprouvantes, avec des contraintes horaires et des cycles de travail pas forcément compatibles avec les vies de famille, les vies sociales, etc. C’est pour cela qu’au sein de notre réflexion QVCT, nous avons des expérimentations de semaines de travail en 4 jours, ce qui permet de mettre plus de prévisibilité dans les cycles de travail. Et on commence à voir que cela produit des effets importants.

 

Avant cet accord, la RATP possédait un texte relatif à la prévention des risques psychosociaux : il n’était pas suffisant ? À partir de quand avez-vous senti qu’il fallait le moderniser ?

Il y a trois ou quatre ans, les RPS devaient être identifiés comme tels, car nous étions confrontés, comme toute la société, à une nouvelle typologie de risques, c’est-à-dire l’insécurité. Avec ce nouvel accord, nous souhaitions apporter des réponses avec une vision systémique à cette question de la nature du lien que l’on veut organiser entre un salarié et une entreprise. Plus on est spécifique, plus on perd cette dimension systémique. Notre accord QVCT, notre politique RH marchent sur deux jambes- le renforcement du besoin de sécurité et l’instauration de cadres de travail propices à l’émancipation-. C’est un besoin et une aspiration humaine fondamentale.

 

S’agissant de la fin du régime spécial des retraites. Comment l’appréhendez-vous ?
Le salarié qui est entré avec un régime spécial de retraite en bénéficiera jusqu’au bout. Les gens qui entrent maintenant ne l’auront jamais connu. Ce changement est moins vécu individuellement que collectivement. Notre défi est d’arriver à faire fonctionner, à l’avenir, des populations dont un élément du contrat social n’est plus tout à fait le même. Il va falloir que l’on travaille à une hybridation plus importante de nos politiques RH. Peut-on continuer à avoir une même politique de rémunération quand une partie de la population bénéficie d’un contrat avec une forme de rémunération différée par le régime spécial de retraite, tandis qu’une autre ne l’a plus ? Cela va nous amener à nous poser la question des fins de carrière. Nous devons aussi travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés au groupe, et non plus seulement à chacune des entités du groupe. Notre engagement, via la marque employeur, est de favoriser la mobilité, et cet engagement devra traverser les frontières de chacune de nos entités. De plus en plus, les salariés devront naviguer d’une entité à une autre. Aujourd’hui, l’EPIC est constitué de 45 000 personnes, dont 19 000 travaillent sur les bus. Du fait de l’ouverture à la concurrence, ces personnes seront transférés dans 13 lots, et chacun de ces lots sera exploité par une filiale de a RATP, de Transdev, de Keolis, etc. Toutes les personnes des filiales du groupe RATP devront bénéficier des mêmes possibilités de parcours de carrière.

 

Le travail, le rapport au travail, à l’entreprise, les attentes vis-à-vis de l’entreprise ont évolué : quel est votre regard sur ces sujets sociétaux et, presque, anthropologiques ?
La RATP recrute beaucoup, chaque année, entre 2 000 et 6 000 personnes sur un bassin territorial sommes toute réduit. Comme nous avons une politique de recrutement inclusive, nous avons la chance d’accueillir la totalité de la diversité de la société. Nous sommes le reflet de tout ce que vous pouvez observer de ce que la société produit : un peu de mixité, un peu de fragmentation, de l’individualisme, un nouveau rapport au travail, à l’autorité, à la légitimité, mais aussi de la générosité, de la solidarité… L’entreprise reste un des lieux privilégiés où l’on doit refaire société. La chance de la RATP, c’est qu’elle propose une finalité mobilisatrice : au service de l’intérêt général, consistant à être un des acteurs de la transition écologique. Mais ce moteur puissant d’unification n’est pas suffisant. Pour refaire société, nous souhaitons adapter notre management aux attentes des personnes, faire évoluer notre cadre de travail pour qu’il soit encore plus en phase avec les aspirations.

 

Je crois savoir que vous allez lancer d’ici début 2025 une enquête sur l’engagement des collaborateurs. Peut-on en savoir un peu plus ?
Mon premier défi est d’avoir un taux de participation assez significatif. C’est la première fois que l’on mènera une enquête à l’échelle des 15 pays concernés. Je suis heureux de pouvoir permettre à toutes les voix de s’exprimer et curieux de percevoir la nature et le degré d’attachement des salariés à cette grande entreprise. Nous allons bientôt lancer ce baromètre à l’échelle de tout le Groupe.

 

Que dites-vous à vos salariés quand vous montez dans un bus ou un métro ?

« Merci » et « comment ça va ? ». Mais d’abord, j’essaie de ne pas déranger un conducteur en pleine conduite !! Savez-vous pourquoi ces personnes se lèvent le matin ce qui fait le sel de leur métier? J’ai entendu cette réponse de multiples fois : déposer un enfant devant l’école, accompagner une personne âgée sur un itinéraire vers un soin ou un service public qui lui est nécessaire, cela fait partie de leur raison d’être. Nos salariés se sentent investis d’une mission du quotidien.