Repérer et coacher les profils atypiques

18 min de lecture

Les enfants aux profils neuroatypiques ont apporté des changements profonds et toujours en cours de notre système éducatif. Va-t-on assister à ce même phénomène dans la formation professionnelle aujourd’hui ? La réponse est : OUI ! Et voici comment …

Par Patricia Cloarec Cyprien , Coach professionnelle - Formatrice - Superviseure C'Koya Coaching

Depuis des années 1990, évoluent dans un environnement Volatil, incertain, complexe et ambigu (VUCA). Ce que j’observe aujourd’hui, c’est que cet environnement VUCA n’est plus uniquement une composante externe de l’entreprise mais une réalité interne. Depuis l’épisode de la  COVID on voit s’accélérer et prendre forme des mouvements qui étaient demeurés souterrains . Il s’agit notamment de la guerre des talents, l’explosion des burnout, les démissions silencieuses, la difficulté à recruter, à fidéliser les talents, à réagir et agir en collectif.

Et ce, alors que de plus en plus de jeunes ne sont pas attirés par le monde de l’entreprise ou encore des personnes talentueuses qui ont perdu leur motivation ou le sens de leur travail, s’épuisent et préfèrent réfléchir à tout abandonner. Une perte sèche pour l’entreprise et donc notre société.

Une des nombreuses pistes à explorer est celle de l’inclusion, en particulier l’inclusion des profils neuroatypiques.

Qui sont donc les personnes profils neuroatypiques ?

Il est difficile de trouver un chiffre officiel sur lequel tout le monde s’accorde, mais la proportion moyenne que l’on trouve de personnes neuro divergentes dans les entreprises varie entre 10% et 20%. Lorsque l’on parle de neurodiversité, il s’agit de personnes ayant connu un développement neurologique original, atypique, en dehors de ce qui a été considéré comme la norme.  Il s’agit de profils hauts potentiels, de personnes ayant un trouble Déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), un trouble de la constellation des Dys ou encore l’Asperger. De plus en plus, nous entendons parler de personnes hypersensibles ou encore de personnes multi potentielles.

Ces personnes ont longtemps été vues sous l’angle du handicap invisible en ce qui concerne les dys, ou alors ignorées ou encore fantasmées, avec son lot considérable d’idées reçues. En réalité on parle de personnes qui possèdent un mode de pensée atypique, un fonctionnement créatif avec une connexion forte à leurs émotions et leurs valeurs. Ces personnes évoluent la plupart du temps dans l’ignorance de leur fonctionnement et traversent leur vie professionnelle avec l’envie et le besoin d’être accepté, intégré au prix de leur singularité. Certaines n’exprimeront jamais leur potentiel et seront même en marge d’une carrière professionnelle à la hauteur de leurs capacités.

Quel est le rôle de la formation dans l’adaptation des entreprises à ce nouvel environnement, et ces nouvelles façons de travailler ensemble dans un contexte VUCA externe et interne ?

La formation vécue comme un rendez-vous annuel au moment des entretiens annuels ne peut plus continuer d’exister en l’état. Car l’entreprise se prive ainsi d’un puissant vecteur d’inclusion de résilience, d’agilité et de performance.

Evolution de la formation : les enjeux Inclusion de la neurodiversité

  • Les collaborateurs au profil neuroatypique ont des parcours professionnels rarement rectilignes, avec la sensation de papillonner de poste en poste, le sentiment diffus que leur parcours professionnel est un patchwork, fruit de hasards et d’opportunités. Certains réussissent à évoluer dans la vie professionnelle avec un sentiment d’imposture ayant toujours la fatigue de la sur-adaptation et la crainte d’être démasqués. Evoluer ainsi avec ce degré d’insécurité prive le collaborateur et l’entreprise de l’expression de son potentiel. Ici la formation peut être un révélateur de talents inconscients.

 

  • Un des rôles de la formation est de permettre de fidéliser ses talents. L’enjeu est de valoriser le parcours du collaborateur, sa cohérence et le sens donné à ses réalisations en construisant un parcours d’excellence et de révélation des singularités.

 

Dans ce contexte où l’agilité, l’innovation et la performance passent par une capacité de l’entreprise à communiquer, à partager ses valeurs et à permettre à ses collaborateurs de travailler ensemble : la formation devient centrale.

La formation ne peut être cantonnée au rôle de développement des compétences. Elle devrait être pensée comme un parcours d’excellence et de révélation des potentiels, afin que chacun, quel que soit sa singularité ou son fonctionnement, puisse être en mesure de contribuer à l’entreprise avec sa vision unique, avec son esprit analytique ou encore avec sa grande créativité.

Cela me rappelle une jeune femme neuroatypique, cadre supérieure dans une entreprise internationale. Son CV est admirable avec un grand nombre de succès professionnels et malgré cela elle manque cruellement de confiance en elle. Elle souhaite développer ses compétences de leadership car elle ne se sent pas la légitimité du poste. Un accompagnement hybride de type formation et coaching a mis en lumière son fonctionnement analytique, créatif, très rapide et intuitif qui lui a permis de gagner en confiance et d’exprimer son besoin pour accepter la proposition d’intégrer l’équipe de direction.

Un autre exemple m’a été rapporté par un collègue coach. Celui- ci avait organisé un programme de création de starts-up avec de jeunes docteurs issus du monde de la recherche, employés depuis quelques années par de grandes entreprises. L’une d’elle avait envoyé un collaborateur à cette formation-action et ce dernier s’est littéralement révélé en dévoilant, une créativité, une capacité entrepreneuriale, une solidité dans la prise de décisions qui a fait l’étonnement de ses collègues et des coachs. Et cela a pu être signalé à l’entreprise, qui en a été également surpris :  cette personne était par ailleurs perçue comme timide et réservée. L’effet dérivé de cette formation a été la révélation d’un potentiel. Les sessions de formation permettent à chacun de révéler leur ressource en offrant un cadre sécurisant et propice.

Quelles pistes pour rendre une formation réellement inclusive et à impact ?

La démarche de formation pourrait s’inscrire dans un plan de développement de l’excellence ou de révélation des potentiels et être dans une dynamique de révélation des potentiels singuliers. Le participant n’est plus en bout de chaîne du processus de formation, mais est intégré dès le démarrage de la chaîne dans le processus réflexif, mais aussi dans la composition de l’information. Et dans l’analyse des besoins.

La formation comme révélateur de potentiel pourrait contribuer à résoudre la problématique créée par le rapport à la « norme ». Nombreux sont les collaborateurs atypiques qui cherchent et ont cherché à s’approcher au plus près de la courbe moyenne pensant que c’est ce qu’on attend d’eux. Pour ce faire, ils usent de stratagèmes, et utilisent une bonne partie de leurs ressources et énergie à s’approcher de cette courbe pour être socialement accepté.  Or en cas de changement, de besoin d’innovation ou d’urgence collaborative, il peut être crucial d’avoir accès à un mode de pensée neurodiversifiée pour que chacun comprenne, partage, propose, analyse autour de la problématique complexe et, imagine, crée, planifie, anticipe et improvise une solution efficace, rapide et innovante.

Faisons le pari qu’en déployant l’inclusion grâce à la formation, l’ensemble des collaborateurs auront accès à leur potentiel singulier. Bienvenue au cœur de l’inclusion.

 

Une nécessaire adaptation de la posture du formateur

Cela a un impact fort pour le formateur qui propose un catalogue de formation qui devient 100% personnalisable, mais non pas sur la demande uniquement de l’entreprise, mais avec une intégration plus fine, active et réelle de chaque participant dans la construction. J’ai l’exemple d’une demande de devis pour une formation en leadership et en communication pour une équipe de top managers. J’ai demandé un échange de 30 min avec chacun des participants afin comprendre leur contexte réel d’action, leur besoin opérationnel et leurs attentes.

L’un des facteurs d’échec que j’ai pu observer en formation, n’est pas la qualité du contenu. Il est possible d’avoir un contenu de très haut niveau mais si ce dernier est éloigné des préoccupations du moment des collaborateurs, et ne leur apporte pas de solutions immédiatement identifiables et activables de leur point de vue et dans leur réalité alors la formation a de fortes chances de provoquer, la colère que peut susciter le manque de sens, en particulier chez les collaborateurs au profil neurodivergent.

Le formateur doit apprendre à lâcher prise sur le comment. Il s’attache au pourquoi et à la cible à atteindre avec son groupe. Il est en totale présence à ce qui se passe pendant cette formation et ainsi répondre aux besoins concrets des participants. Il est dans une démarche de co-constrution et d’ouverture. Cela lui permet d’offrir un espace de parole libre y compris à un participant qui aurait un point de vue différent, ou une analyse différente sur un sujet traité.

La physionomie des formations de demain

L’émergence du digital a été une aubaine pour bon nombre de personnes neuroatypiques. Le digital élimine l’effort à produire pour gérer la promiscuité physique en particulier pour les personnes hypersensibles et introverties. Cette distance permet de faciliter l’entrée dans les partages sans pour autant avoir à gérer le flot émotionnel et sensoriel. Autant de disponibilité pour « apprendre », partager et se révéler autrement.

Le digital permet également d’amener d’autres modalités d’apprentissage.  De nombreux outils permettent aujourd’hui d’éliminer ou réduire au maximum le côté descendant d’une formation

La Ludopédagogie, qui vise à « gamifier » l’expérience de formation et impliquer les participants est une vraie mine d’or pour une partie de ces profils de atypiques en amenant une modalité d’apprentissage plus expérientielle, ludique et immersive.

Le mode de fonctionnement de ces profils nous amène à développer des formations non seulement à la pédagogie inversée, mais à la pédagogie expérientielle dans laquelle le participant est autant contributeur au contenu que le formateur.

 

Il apparait que la formation devient une ressource clés pour élargir la zone de performance de l’entreprise dans un environnement que nous savions VUCA mais qui se complexifie en interne. En effet, l’enjeu pour les entreprises est de fournir de la sécurité à ses collaborateurs afin de leur permettre de travailler sereinement dans un climat de confiance.

Or, aujourd’hui la sécurité n’est plus assurée par la durée déterminée ou non du contrat mais bien par le ressenti du collaborateur à contribuer, à faire partie d’un projet qui nourrit son besoin de sens, son besoin de liberté d’être, de justice.  Et donc de respect, avec la une possibilité de se sentir libre d’évoluer professionnellement, libre de voir leurs envies et centres d’intérêts évoluer, de se sentir inspiré, de changer d’orientation. C’est ici que se cache un trésor encore largement méconnu des entreprises et que la formation inclusive peut aider à révéler et exploiter.