Alcool et parcours de vie au travail

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Pourquoi aborder la thématique de l’alcool en entreprise ? Le tabac, l’alcool et le cannabis sont les principales substances psychoactives consommées par la population active occupée comme par l’ensemble de la population.

Par Juliette Hazart , médecin addictologue et nutritionniste

Toutes les catégories socioprofessionnelles et secteurs concernés

Selon la cohorte épidémiologique française Constances, la prévalence de l’usage dangereux d’alcool[1] est un peu moins importante chez les hommes cadres (16 %) et avec une profession intermédiaire (21 %) que chez les employés (23 %) et les ouvriers (22 %). Les femmes cadres sont plus exposées (11 %) que les ouvrières et les employées (7 %). Dans les catégories socioprofessionnelles plus favorisées, se joue probablement un conflit vie privée-vie professionnelle lié à la conciliation travail et famille. Tous les secteurs d’activité sont concernés avec une prédominance dans les services à la personne, le commerce, l’industrie et l’éducation. L’exposition stressante au public est en effet un facteur de risque d’aggravation des conduites addictives.

 

L’alcool, un risque aggravé de perte d’emploi et d’accidents du travail graves

Les demandeurs d’emploi ont deux fois plus d’addictions à l’alcool que les actifs occupés. Les conduites addictives peuvent aussi précéder la perte d’emploi et sont un facteur de risque de sortie de l’emploi. En effet, un usage même ponctuel d’alcool multiplie par 1,5 le risque de perte d’emploi à un an et la présence d’une dépendance à l’alcool par 2. Quant au risque d’accidents du travail graves, occasionnant des séquelles avec IPP (incapacité permanente partielle) il est multiplié par 2 en cas de consommation chronique hebdomadaire excessive (définie dans la cohorte Constances par au moins 2 verres par jour chez la femme et moins 4 chez l’homme) et augmenté de 50 % en cas d’API[2] au moins une fois par semaine.

 

L’exposition aux risques psychosociaux, un facteur de risque de consommation d’alcool

Les personnes exposées aux risques psychosociaux telles qu’une exposition stressante au public ou à une « demande émotionnelle au travail » ont des consommations plus élevées d’alcool. Chez les hommes, le risque est multiplié par 1,3 de présenter des API plus d’une fois par mois. Chez les femmes, c’est le risque d’avoir une consommation chronique d’alcool avec plus de 4 verres par jour qui est multiplié par 1,6. (source cohorte Constances).

 

Les services de santé au travail, un acteur majeur dans la prévention des consommations d’alcool sur le lieu de travail

 

Via les services de santé au travail, les rencontres intègrent le repérage précoce pour ouvrir le dialogue, l’écoute, un soutien, une éventuelle prescription pluridisciplinaire et si besoin une orientation spécialisée. La réforme du suivi médical des salariés a permis un rééquilibrage avec des actions en entreprise, des examens de préreprise et de reprise et des examens à la demande de l’employeur ou du salarié.

 

Les politiques de santé et les pratiques évoluent

Les politiques de santé successives montrent un intérêt croissant pour la prévention, le repérage, le dépistage et la gestion des consommations de substances psychoactives : renseignement systématique du dossier médical santé au travail sur les types et niveaux de consommation de produits psychoactifs (Haute Autorité de Santé ou HAS, 2009), dépistage et gestion du mésusage de substances psychoactives susceptibles de générer des troubles du comportement en milieu professionnel (Société française de médecine du travail, 2013), outils de RPIB (repérage précoce et intervention brève, HAS, 2015), promotion de la qualité de vie au travail, maintien en emploi et performance, évolution d’une approche segmentée des risques à une approche transversale, actions de prévention abordant des risques multifactoriels à l’interface de la santé au travail et de la santé publique (3e plan santé au travail), prévention des risques psychosociaux (4e plan santé au travail).

Les entreprises expriment leurs préoccupations et leurs attentes

Près de 70 % des dirigeants se sentent préoccupés par la consommation d’alcool de leurs salariés (sondage BVA). Concernant le besoin d’accompagnement en dehors de la médecine du travail, les dirigeants et représentants du personnel du secteur public évoquent plutôt des interventions de spécialistes au sein de leur organisme et quant au secteur privé la mise en place d’un site internet dédié.

 

Perspectives

Concernant l’accompagnement des salariés en difficulté avec l’alcool, les deux piliers sont les actions de maintien dans l’emploi ou en emploi. Le rôle du médecin du travail comme acteur de soins doit être valorisé afin de rendre possible le maintien à l’emploi, partie intégrante du soin. La santé au travail repensée comme un élément intégré au parcours de santé globale, une interactivité cohérente entre acteurs de santé est nécessaire avec un renforcement des liens entre médecine du travail et médecine ambulatoire. Les préoccupations des employeurs vis-à-vis de cette problématique concourent au développement d’une présentation positive d’une politique de prévention à l’entreprise : amélioration du capital santé et bien-être, prévention des risques psychosociaux, diminution des conflits, augmentation de la productivité. Le cadre collectif doit se renforcer pour une prévention non culpabilisante en lien avec un accompagnement individuel pour les personnes les plus en difficulté. La prise en compte des facteurs d’environnement, avec analyse des risques spécifiques par entreprise, au-delà du repérage et du dépistage, dans une approche one health, est l’opportunité de trouver des solutions répondant à des problématiques de santé mais aussi environnementales.

 

 

Que dit la loi ?

Selon l’article L4624-1 du Code du travail, « l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et doit en assurer l’effectivité. » C’est la cohérence de la démarche de prévention de l’employeur, à associer à la démarche globale de prévention des risques professionnels, et son aspect collectif garant d’objectivité qui sera appréciée en cas de litige.

[1] Consommation au-delà des repères, parfois difficultés liées à la consommation sans avoir les critères pour parler d’une addiction.

[2] Alcoolisations ponctuelles importantes ou binge drinking, c’est-à-dire au moins 6 verres en une seule occasion.