À Singapour, la prospective au service de la formation

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Modèle de réussite économique, la petite cité-État asiatique mène depuis de longues années une politique très incitative en termes de formation continue « tout au long de la vie ». À l’initiative de ces programmes, l’agence gouvernementale SkillsFuture, qui mène des travaux de prospective sur les compétences de demain et mobilise tous les acteurs économiques autour de cette grande cause nationale.

Par Julien Morello

2e taux de chômage le plus bas au monde, 4e plus gros PIB par habitant, 2e place du dernier classement PISA, Singapour peut envisager le futur avec sérénité. La cité-État connue pour sa densité de population et son développement urbain durable, qui lui a valu le surnom de « cité-jardin », connaît depuis son indépendance en 1965 une importante croissance économique et démographique qui en a fait l’une des places fortes de l’industrie, du commerce et de la finance en Asie.

 

Sans ressources naturelles, le jeune pays a rapidement misé sur sa principale richesse : ses habitants. Avec l’un des systèmes éducatifs les plus performants au monde, Singapour est déjà un modèle dans le domaine de la formation initiale. Mais le « dragon asiatique » mène depuis des décennies une politique de formation continue très ambitieuse, dans le but de permettre aux travailleurs d’avancer dans leur carrière et aux employeurs de disposer d’une main d’œuvre toujours plus qualifiée pour répondre toujours plus efficacement à des besoins en constante évolution.

 

SkillsFuture : déterminer les compétences de demain

Au cœur de cette politique de formation qui se veut « nationale, complète et de haute qualité » se trouve SkillsFuture, une agence gouvernementale dépendant des ministères de l’Éducation, de la Main d’œuvre, et du Commerce et de l’Industrie. Créée en 2016 pour orienter les décisions des législateurs, élaborer des programmes d’accès à la formation pertinents et informer les travailleurs de l’ensemble des possibilités qui s’offrent à eux, elle est la porte-parole du credo prôné depuis les années 2000 par le gouvernement singapourien : la formation « tout au long de la vie ». Bénéficiant d’un budget conséquent de plus de 3 milliards de dollars singapouriens, elle met à la disposition des travailleurs des enveloppes de formation évolutives en fonction de l’avancée de leur carrière ; libre à eux de choisir dans quelle voie se perfectionner. De leur côté, les employeurs bénéficient d’avantages fiscaux lorsqu’ils permettent à leurs collaborateurs de consacrer du temps au développement de nouvelles compétences.

 

SkillsFuture prône également des méthodes de formation particulières, notamment le blended learning, où le temps de formation est divisé entre des passages dans un centre d’apprentissage ou à l’université, des journées consacrées au e-learning, et des périodes de formation sur le lieu de travail. L’agence oriente aussi décideurs et formateurs sur les secteurs demandant l’acquisition de nouvelles compétences : l’économie digitale, l’économie verte, et l’économie du care. Pour cela, elle mène des travaux de prospective très avancés dans le but de toujours conserver un petit temps d’avance sur les évolutions à venir afin d’ajuster rapidement ses politiques de formation et de combler au maximum l’écart entre les besoins et les compétences.

 

Trinité de partenaires, ou écosystème de compétences

Forte de 450 fonctionnaires, SkillsFuture coordonne ainsi une équipe de prospectivistes qui analysent diverses données traitées par des intelligences artificielles, mènent des recherches sur les neurosciences, scrutent les brevets en quête de premiers signaux annonçant des tendances et ruptures à venir, et interrogent des experts de différents domaines, notamment des représentants des entreprises les plus innovantes de leur secteur, dans le pays ou à l’étranger. Elle supervise aussi certains grands projets nationaux, comme la création du nouveau terminal de l’aéroport national : entièrement digital et automatisé, il nécessite une main d’œuvre moins nombreuse, mais formée aux nouvelles technologies et aux relations clients.

 

Néanmoins, ses efforts d’orientation et d’anticipation seraient vains sans la synergie existant entre tous les acteurs du monde économique singapourien, qu’elle parvient à animer très efficacement. En effet, l’agence nationale est au centre de ce qu’elle appelle la « trinité des partenaires », ou encore « l’écosystème de compétences », constituée d’un côté des travailleurs et des syndicats, d’un autre des employeurs et des organisations patronales, et enfin des institutions de formation, publiques et privées. Grâce à un dialogue social apaisé, où chacun est conscient du rôle qu’il a à jouer et travaille de concert pour continuer de faire progresser la compétitivité du pays, elle parvient à ajuster quasiment en temps réel les programmes de formation, comme cela a été notamment le cas pendant la crise sanitaire, où des réorientations urgentes ont été nécessaires pour limiter la hausse du chômage et la baisse de la croissance.

 

En parvenant à mettre en adéquation théorie, politique et pratique, SkillsFuture montre la voie à suivre à l’ensemble des forces vives de Singapour pour faire de la formation continue un atout essentiel de sa vitalité économique. Un modèle à suivre par d’autres pays ?